Dragged Across Concrete” est une œuvre polymorphe qui ne cesse jamais sa mue et marie à la merveille les codes du drame social, du film de flics, du cinéma de gangsters et du polar noir dans une extraordinaire danse des genres. Celle-ci prouve à nouveau tout le talent tumultueux d’écriture et de cinéaste de S. Craig Zahler, dont les films mériteraient tellement une sortie en salles en France. Son art de la multiplication des points de vue offre un lot de paraboles cyniques à l’écho social très fort, délivrées avec une violence sadique comme pour mieux tacler les injustices qui divisent l’Amérique : bavures policières, récidive criminelle, racisme et sexisme institutionnalisés, masculinité nauséabonde, système de santé indigne, insécurité dans les quartiers, parmi tant d’autres maux.


Ses personnages, qu’ils soient flics, voyous ou les deux, n’aspirent qu’à une chose : faire en sorte que la vie soit meilleure, et que leurs proches puissent enfin goûter au confort, à la paix, et pourquoi pas au bonheur autrefois promis. Les nombreuses destinées présentées servent continuellement la trame du film et se répondent au fil de dialogues équivoques, jusqu’à converger et s’anéantir dans un dernier acte explosif qui se joue sans cesse de nos attentes. Rares sont les titres qui portent avec autant de force et de justesse l’expérience sensorielle qu’ils souhaitent faire vivre à leurs héros, ainsi qu’à leurs spectateurs.


Ce thriller prend son temps sans jamais devenir plombant, misant sur la pureté de son cadrage en basse lumière pour appuyer une approche néoréaliste suscitant l’empathie et la pitié. Le casting est parfait, mené par un immense duo Mel Gibson-Vince Vaughn en son centre. Les deux comédiens se moquent magnifiquement de leurs caricatures rétrogrades de policiers véreux et misogynes, et brillent autant par leur implication dans le métrage que par leur distance apparente vis-à-vis de l’ambiguïté morale de leurs personnages, délivrée avec un humour savoureux, et ce jusqu’au bord du précipice.


Ne prenant pas de gants, “Dragged Across Concrete” est une ode brutale à ceux qui rêvent du meilleur, quitte à traverser l’enfer et ses déluges devant le peu de solutions mesurées offertes par leur étouffante réalité. S’en suit une punition divine au goût amer ; celui des combats perdus d’avance. Bien plus qu’une simple provocation brûlante, un coup de grâce et de maître politiquement incorrect, à la résonance corrosive.

Peachfuzz
8
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le 10 mai 2020

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Peachfuzz

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