Tout amateur de récit de science-fiction traitant de la dualité corps/esprit, de l'intelligence artificielle, et du transhumanisme en général (tant que l'œil porté sur cette abomination est critique) était en droit d'attendre beaucoup du film de Wally Pfister. Un sujet passionnant, un budget suffisamment confortable pour assurer la qualité d'effets spéciaux adaptée à une aventure de SF se voulant le plus « réaliste » (= théoriquement plausible) possible, une galerie d'acteurs de classe A... On était même prêt à accepter qu'il dérive vers l'action-show un peu cahier des charges, comme le laissait deviner la bande-annonce, tant que les cellules grises resteraient un minimum sollicitées. Résultat : oui, elles le sont. On en a bien besoin, ces cellules grises, pour se demander ce que c'est que ce foutage de gueule. On aurait dû le savoir : ne jamais faire confiance à un gars qui s'appelle Wally. Il n'est jamais facile d'être le géniteur d'un possible nominé aux Razzies Awards (et Dieu sait combien l'auteur de ces lignes méprise ces derniers).


Allez, comme le temps manque dans la lyrique tragédie de notre société de l'urgence, et que Transcendance ne mérite pas mieux de toute façon, on va se livrer à un petit jeu des pour et des contres, facile à faire, mais aussi facile à lire (hé, pas con). De toute façon, la liste des pour ne va pas nécessiter des pages.


LES PLUS :
- La présence de Rebecca Hall, girl next door « so british » toujours mimi et pleine de bonne volonté (sauf quand elle sourit trop fort, parce que les Anglaises et leurs gencives, c'est quelque chose). Elle ne sauve pas les meubles, et l'aveuglement apathique de son personnage finit par fatiguer, mais ce n'est pas de sa faute, à elle, la pauvre.
- Les quelques bonnes idées qui émaillent le scénario : l'évolution de la relation entre le personnage de Max et les terroristes qui l'ont enlevé, qui démarre sur une incompatibilité probablement fatale (= c'est un boulet, ils vont le descendre) à une adhésion quasi-totale de l'otage à leur cause... ou le syndrome de Stockholm comme bonus bienvenu.
- Par ailleurs, cette adhésion d'un « good guy » à leurs idées suggère que le film partage la méfiance des terroristes envers la course au progrès technologique, que beaucoup de gens associent au progrès tout court. Pas le premier à adopter une telle position, mais c'est toujours bon à prendre.
- Le morceau de papier sur lequel Joseph (Morgan Freeman) écrit « Tirez-vous d'ici » à Evelyn, qui fait son petit effet. Là, on se dit : si seulement Depp avait vraiment fait peur ! (Parce que non.)
- Euh... euuuuuh... oulà. C'est grave. C'est tellement grave qu'on a eu recours à un bout de papier.


LES MOINS :
- Le néant intellectuel là où l'on attendait l'exact inverse : Transcendance n'excite pas une seconde notre fibre philosophique, et n'enseigne rien au profane de la science théorique derrière tout ça. Surtout, il n'aborde même pas vraiment la question de ce qu'est être humain. L'est-on toujours dès lors que l'on n'a plus de corps, plus de sensations physiques, que l'on n'a plus besoin de se nourrir ni de dormir ? On est très loin du magnifique roman Le Vaisseau des Voyageurs de R. C. Wilson, qui explorait ce sujet de manière passionnante (et répondait par la négative aux questions ci-dessus).
- Au lieu d'assumer ce matériau thématique, la concentration du scénario sur la romance des époux Caster. Tout ça pour une histoire d'amour ? Certes, « boy meets girl », comme disait Hitchcock, mais soyons sérieux. À la limite, si ladite histoire d'amour avait transcendé la partie action au ras des pâquerettes ! Parce que non, en fait. En parallèle, on peut noter la fin inepte à laquelle ce choix mènera inévitablement.
- La mise en scène de Pfister, d'une platitude exténuante, ne suscitant ni la fascination dans la première moitié du film (alors qu'on parle de ce dont on parle, putain !), ni l'excitation dans les scènes d'action, par ailleurs rachitiques.
- Johnny Depp, au jeu aussi désincarné que son personnage (yay) : sa descente aux enfers/crise de la quarantaine continue de plus belle. Et pourtant, l'auteur de ces lignes a aimé Lone Ranger, c'est dire sa bonne volonté.
- Le simplisme psychologique d'un scénario censé sonder les tourments de l'âme humaine face à la possibilité de son obsolescence. Un exemple. Scène numéro 1 : Evelyn apprend que son mari va mourir. Air ému. Deux secondes plus tard, scène numéro 2 : Evelyn essaie de convaincre Max d'uploader la tête à Depp sur son Mac. Là, crac, résistance morale du savant pas totalement aveuglé. Finalement, quatre secondes plus tard, scène numéro 3 : en voiture Simone - à faire cauchemarder Michael Bay. Un autre exemple : l'absence de sentiment de culpabilité chez le personnage d'Evelyn, malgré le bordel monumental qu'elle provoque (= humanité en péril, pas mal, Evelyn), là où l'on aurait bien vu un cas de figure à la Oppenheimer. Pour finir, la transformation des miraculés de néo-Will en zombies sous WiFi aurait pu susciter un semblant d'horreur à la L'Échiquier du Mal de Dan Simmons... à la place, le néant. Une ligne de synopsis parmi d'autres.
- Le rythme catastrophique. Le flou artistique entourant l'antagoniste de l'histoire y est pour quelque chose. Au début, on croit que ce sont les éco-terroristes ; puis en fait, non (comme précisé plus haut, le film est plutôt sympa avec eux, en dépit du fait qu'ils sont derrière l'assassinat d'une dizaine de personnes au minimum). Puis une fois que néo-Will commence à voir trop grand, on se dit qu'on y est ; sauf que pas vraiment non plus (et puis il est difficile de reprocher à un programme de simplement suivre sa nature). Peut-être est-ce le gouvernement attaquant le complexe, parce qu'on finirait par craindre pour ledit complexe, contre toute attente ? Meh, on s'en fout un peu. Résultat : zéro dynamique dramatique.
- Le par-dessus la jambe monumental caractérisant le traitement de quasiment toute l'action, incluant les sous-intrigues. On a cité plus haut la relation entre la chef des écoterroristes et son futur ex-otage Max, pleine de promesses : ça n'ira pas plus loin que deux, trois échanges résumables à Kate Mara disant à Paul Bettany « We're not the enemy, dude ! ». On pense aussi à la construction d'un gigantesque complexe en deux temps, trois mouvements sans que ne s'y intéressent les autorités (relax duuude), et dont ressortent quotidiennement une tripotée de miséreux miraculeusement guéris de leurs handicaps sans que la nouvelle ne circule nulle part, au temps du tout-réseaux sociaux... On peut aussi relever l'attitude absolument irrationnelle desdites autorités face à la menace, préférant envoyer à l'assaut du complexe un assemblage improbable de paramilitaires et d'écoterroristes (!) à la place de l'armée... illustration de l'absence totale de perspective d'un film qui traite de la chute de nos sociétés...
- Il faut dire qu'avec une actrice aussi charismatique que Kate Mara (rires), cette histoire de terroristes ne pouvait pas aller bien loin. Elle était occupée chez Malick ou Fincher, la Rooney ?
- Bien que Transcendance soit réalisé par le chef opérateur attitré de Christopher Nolan, sur le plan esthétique, il laisse de marbre - un putain d'exploit, quand même. Le chef opérateur de Spielberg, Janusz Kaminski, s'était lui aussi égaré sur les sentiers de la réalisation avec le loupé Les Âmes Perdues (2000), mais ce dernier était au moins joli à voir. Un peu de décence, bordel.
- Comme toujours, quand ton histoire met en scène des personnages supposément flanqués d'un QI supérieur à 400, ces derniers ont plutôt intérêt à être crédibles, et de ce fait à se comporter en génie. Généralement, cela exige du ou de la scénariste qu'il ou elle ne soit pas totalement débile. Transcendance rappelle dans la douleur cette dure réalité : il est difficile de justifier par son seul amûr le comportement d'Evelyn Caster, qui passe de l'obsession romantique borderline hystéro au début (« Non mais uploadez mon mari sur ce foutu Mac, vous m'entendez ! Johnnyyyyy !!! ») à la connerie pure et simple par la suite. L'amour rend aveugle, certes, mais on peut être aveugle et un minimum futé (prenez Gilbert Montagné). Là, non.
- Pour finir, face à ce gâchis monumental, celui d'un casting de talents, de Morgan Freeman à Paul Bettany, en passant par Cillian Murphy, Clifton Collins Jr., Xander Berkeley (WTF ?)...


On compare Transcendance au nanar Le Cobaye, sorti en 1992 et interprété par Pierce Brosnan et Jeff Fahey. En ayant à peu près le même sujet et bieeen plus de moyens, le premier devait être une sorte de version intello et de luxe du second. Vous vous doutez qu'il n'en est rien, et on peut même aller plus loin : tout kitsch et sérizèdesque qu'il était, Le Cobaye avait au moins le mérite de divertir un peu.


L'affiche continent une citation d'Albert Einstein : « Je crains le jour où la technologie dépassera l'Homme ». L'Homme, on n'en est pas certain. Les scénaristes, eux, étaient clairement dépassés.

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le 27 juin 2014

Modifiée

le 28 juin 2014

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Scaar_Alexander

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