Le récit du dernier Moretti – qui s’inspire d’un roman israélien – se déroule au sein d’un immeuble romain, autour d’un dispositif nouveau chez lui puisqu’il s’avère choral : On y suit en effet plusieurs familles sur trois temporalités distinctes, séparées par deux ellipses de cinq ans.


     Une habitante de l’immeuble en question est sur le point d’accoucher quand un habitant de ce même immeuble, au volant d’une voiture et en état d’ébriété, fauche une passante et la tue sur le coup. La vie et la mort dans le même élan introductif. Rouage qui ne cessera de travailler le film jusque dans son ultime séquence.


     Tre Piani (Trois étages) s’ouvre donc sur un accident et à l’image de cette voiture s’encastrant dans une baie vitrée du rez-de-chaussée, c’est tout l’immeuble qui s’en trouve abîmé, directement ou par répercussions imperceptibles. L’occasion pour Moretti de brosser une importante galerie de personnages, de gratter le vernis des apparences bourgeoises et de les faire se heurter entre elles, jusqu’à parfois ouvrir des portes inattendues en faisant entrer dans le champ un frère, un veuf, une hallucination, une providence.


     C’est presque un scénario de série télévisée sauf que Moretti en fait tout l’inverse : Il creuse à certains endroits, coupe à d’autres : C’est un film qui pourrait se déployer sur dix heures mais qui, en le faisant sur deux, resserre ses enjeux et bondit d’une fêlure ou d’un écho à l’autre. Et à mesure qu’il s’ouvre, ses personnages sont de plus en plus beaux, torturés, complexes, parfois même révélés par leur absence.


     Tre Piani est un film très sobre dans sa forme et austère dans sa tonalité, pourtant il s’y dégage une chaleur et une cruauté qu’on ne soupçonnait pas au préalable, renforcés par ces ellipses et donc par le déploiement de cette temporalité perturbée par le hors-champ.


     C’est un grand film sur la parentalité, les peurs et les troubles qu’elle engendre. Les contempteurs trouvent peut-être que ça ressemble à un mauvais Farhadi, les admirateurs à un excellent Almodovar. J’ai choisi mon camp, même si je trouve qu’on reconnaît bien Moretti là-dedans, par petites touches ou dans la mise en scène, qui peut rappeler La chambre du fils. Très, très beau film.

JanosValuska
7
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le 10 févr. 2022

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JanosValuska

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