"Punish those who have caused great unhappiness by their selfish actions."

Peter Greenaway a vraiment un style bien à lui, à la fois très affirmé et tout en retenue, passant autant par des partis pris esthétiques que par certains aspects d'écriture et une narration légèrement décalée. On retrouve dans Drowning by Numbers de nombreuses particularités déjà présentes dans Meurtre dans un jardin anglais, à savoir un côté franchement inclassable, une introduction troublante donnant assez vite le ton, un humour noir tranchant, et des singularités franches dans les compositions graphiques du film. Les dialogues sont en outre le support de nombreuses particularités, que ce soit dans la satire cinglante ou l'humour noir, et contribuent grandement au charme du film pour peu qu'on y soit sensible. Cela peut se faire au détour de remarques sarcastiques très brèves ("Do all fat men have little penises?" dira une femme avec nonchalance en regardant le corps d'un homme), souvent grivoise, ou de développements plus amples, à l'instar de ce garçon expliquant les raisons de son jeu macabre : "The object of this game is to dare to fall with a noose around your neck from a place sufficiently high enough off the ground, such that the fall will hang you. The object of the game is to punish those who have caused great unhappiness by their selfish actions. This is the best game of all, because the winner is also the loser, and the judge's decision is always final."


À l'origine de l'intrigue, trois fois rien : il y a trois femmes portant le même nom, Cissie Colpitts (n°1 n°2 n°3 respectivement), et trois insatisfactions dans leur couple pour diverses raisons, les conjoints faisant preuve d'infidélité ou de désintérêt pour le sexe. Trois femmes issues de la même famille, lancées dans une comédie noire où le meurtre libère. Initialement, la grand-mère saisit une opportunité en noyant son mari dans une baignoire, tandis qu'il manifeste un manque évident de décence en compagnie d'une prostituée : ce sera le début d'une sorte de rituel de la noyade perpétué de mère en fille et petite-fille, selon un triptyque baignoire / mer / piscine. Un des carburants de la comédie : chacune des trois femmes séduit malicieusement le médecin légiste afin qu'il les innocente par son verdict. "Could you get it up three times in an afternoon, Madgett?"


L'exercice peut paraître un peu vain sur la base de ces observations, mais tout le film semble comme enveloppé d'un voile surréaliste agréable. Greenaway (et son chef op Sacha Vierny) s'amuse à composer de nombreux plans comme des hommages à la peinture, au travers de natures mortes ou d'évocation de tableaux de Brueghel, et il en résulte une atmosphère légèrement ésotérique souvent savoureuse — souvent car il y a quand même un petit côté jusqu'au-boutiste dans les traits d'esprit qui peut virer au matraquage intellectuel, quand bien même la finalité serait systématiquement ludique. Le jeu des nombres de 1 à 100 disséminés dans les deux heures, par exemple, n'est pas d'un intérêt transcendant à mes yeux, mais d'autres "jeux" dispose d'un potentiel comique assez noir, comme "Sheep and Tides" impliquant des moutons attachés au bord de l'eau à marée montante, ou encore ce jeu du linceul particulièrement prophétique. De manière assez surprenante, l'ensemble s'apparente à un capharnaüm baroque orné de répliques à la lisière du burlesque du même meurtre.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Triple-Assassinat-dans-le-Suffolk-de-Peter-Greenaway-1988

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le 1 août 2023

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Morrinson

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