Trois femmes
7.5
Trois femmes

Film de Robert Altman (1977)

3 femmes et 3 films en un , tous réussis et surprenants, surtout si rien lu avant à son sujet...

Remarques éloignées de mon premier visionnage du film; plus claires si vous avez vu le film; sans doute préférable d'ailleurs de le voir sans rien en savoir.

Je l'ai vu il y a plusieurs semaines grâce à TCM où il est encore à la demande. Il me revient.

Je regrette l'avoir effacé de mon propre disque dur, car je repense à ce film qui m'a fasciné.

Je l'ai commencé sans rien savoir du tout, en croyant parfois comprendre et voir où il allait, juste pour être ensuite totalement pris au dépourvu et contrarié dans mon ressenti. Donc un vrai plaisir.

Et comme il me revient encore parfois, il se révèle avoir plusieurs épaisseurs et être d'un orgasme cinéphile durable.

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Une pauvrette timide ( Sissy Spacek) devient l'amie d'une fille qu'elle admire (Shelley Duvall), et elle est bien la seule...

L'objet de son affection amicale, voire plus, est ostracisée par ses collègues de travail et par ses colocataires d'immeuble.

Un film qui commence comme un beau film sur l'amitié féminine.

Sur la timidité.

Sur le ghosting...: "Le ghosting est l'acte qui consiste à mettre fin à une relation avec une personne en interrompant sans avertissement ni explication toute communication et en ignorant les tentatives de reprise de contact de l'ancien partenaire".

On ne sait pas pourquoi mais visiblement d'ancienne relation de Shelley Duvall ne lui parle plus au travail et surtout dans son immeuble, où les colocataires se partagent une piscine.

Sissy Spacek est bien la seule à ne pas se rendre compte que l'objet de son admiration ne brille quasi qu'à ses yeux...j'avoue que les premières scènes de non réponse à Shelley Duvall par un "ami" passant, m'ont un peu fait sourire, dans le genre comédie grinçante ("cringe comedy"). Duvall est une sorte de David Brent avant l'heure.

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Puis Duvall invite Spacek a partager son appartement.

Lentement mais surement, le film change de ton (ou alors il l'avait depuis le début mais je ne l'avais pas vu et mes prochains visionnages seront peut-être différents...)

Duvall exerce une forme d'emprise et de manipulation sur sa pauvre petite protégée qui est si fascinée par elle...Spacek est un peu une sorte de Josette pour Thérèse dans Le père Noël est une ordure.

C'est un peu une version de All About Eve. Dans son petit théâtre personnel, Duvall prend sous son aile, l'oisillon timide, docile et admiratif Spacek...Elle l'habille, lui donne confiance. elle devient une mini Pygmalion à la GB Shaw.

Mais elle se fatigue du jouet, se fatigue de son syndrome de l'infirmière, puis commence à s'en servir pour expliquer et l'accuser de son exclusion sociale à elle: La chèvre recueillie sert de bouc émissaire à la misère sociale de Shelley.

Shelley couvre de plus en plus de sarcasmes Sissy.

Shelley ne rapporte dans son filet de pêche que de l'homme déjà marié; marié à une foldingue artiste, recluse elle-même et soi-disant amie aussi de Sissy et Shelley.

Artiste dont les dessins fascinent SIssy et l'attirent au fond d'une piscine vide où ils sont peints...La même artiste, ayant suivi son mari volage au bloc d'appartement de Shelley, sortira Sissy d'une autre piscine, mais pleine...où Sissy aura un temps flotté comme

une Ophélie mais sur le dos...autre personnage poussé à bout (si j'ai bien compris).

Sissy reproche à Shelley de coucher avec homme marié et surtout faire mal à leur amie artiste enceinte.

Mais les oreilles de Shelley commencent à siffler des remarques de Sissy.

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur sa tête, ce sont les sarcasmes de Sissi Spacek.

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Sissy subit un choc. Au fond de la piscine dont elle a touché le ...fond.

Elle se réveille quasi une autre personne, ou alors, suite à amnésie, se réveille sous une précédente de ses formes...car elle se révèle une usurpatrice d'identité. Le choc lui a fait peut-être oublié le dernier mensonge qu'elle s'était construite et raconté?

La scène où elle ne reconnait pas ses parents avec qui on a vécu deux jours est étonnante.

Les parents semblent sortis du tableau American Gothic d'un Grant Wood qui a aussi peint 'Femme avec des fleurs' qui ressemble à la mère ici.

On a assez froid dans le dos avec Shelley Duvall quand on se rend compte que peut-être, elle ne vient pas de passer des jours et accueillir chez elles la vraie famille de Sissy Spacek: presque à la façon du The visit en 2015 de M. Night Shyamalan...

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La balance du pouvoir au sein du couple d'amies change de polarité.

J'ai pensé à tort qu'on se dirigeait vers une sorte de 'Copycat' (Sigourney Weaver, Holly Hunter, en 1996).

Au réveil en hôpital de Sissy, à sa convalescence dans l'appartement de Shelley...la guru dominatrice perd le dessus et Spacek parle sec à son infirmière improvisée.

L'ex petite protégée timide et considérée comme 'laide', devient belle et surtout populaire dans la communauté de l'immeuble.

Elle devient ce dont rêvait d'être la vieille-fille Shelley, qui est désormais la encore plus nécessiteuse, exclue et moquée.

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Le film, comme le T1000 dans l'acier fondu avant de mourir, passe par plusieurs formes et films , le film a plusieurs facettes comme ses personnages, qui ont d'autres avatars dans leur passé...mais ces trois personnages peuvent aussi être vues comme sosies, soeurs et facettes de la même personne?

Il m'a fait penser tout à tour à la dynamique et les frustrations du duo dans 'La cérémonie' de Claude Chabrol de 1995.

Mais aussi en toute petite partie à 'Parasite' de Bong Joon-Ho de 2019.

Ses moments d'emprise et de manipulation ont des atmosphères de 'Misery' et même de Split (Sissy Spacek est aussi bonne que James McAvoy!).

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Bref on rigole, on fatigue, puis on s'inquiète, puis c'est l'horreur.

La logorrhée de Shelley Duvall au début est pathétique, embarrassante...on sourit une première fois mais on devient bien vite triste pour elle. Elle souffre aussi de désillusion de grandeur (sa gênante mégalomanie et mensonges font écho à son triste manque affectif).

Par exemple, en détail, elle se croit cuisinière, donne même des conseils à sa protégée, mais , sauf erreur, elle n'ouvre que des boites et en fait tout un plat...(dans tous les sens du terme).

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Mais si "une personne logorrhéique ressent un besoin intarissable de parler (comme pierreamo sur SC). Son flux de paroles est précipité, diffus et continu", il n'en est pas de même de la mise en scène et montage, qui sont eux , tout en douceur, en subtilité, qui tiennent le tout et fascine.

En détail, j'ai par exemple aimé les zoom dans la vide...je ne sais pas du tout si c'est l'intention mais cette astuce m'a fait penser à des bulles de bandes dessinées: on a la tête du personnage, la caméra zoom un peu en avant, puis fait un pas de côté et zoome dans le vide...comme si pour illustrer que la pensée du personnage s'éloigne et il pense au loin?

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Le film m'a séduit le regard à la façon du serpent Kaa. Je ne sais encore pas comment, mais le montage et la photo m'ont invité dans ce duo et surtout trio, même si la troisième planète pas nette, a son orbite plus éloignée.

Nous sommes invités et attirés chez elle comme Spacek est invitée, puis nous sommes bousculés comme elle, et vivons l'horreur...le film devient un épisode sanglant d' Appelle la sage-femme/Call the midwife (série débutant en 2012).

Et on finit quasi en asile à ciel ouvert, façon Vol au-dessus d'un nid de colombes mais qui finirait dans le décors final de The pledge(où Jack Nicholson finit seul, miteux, marmonnant dans station service en ruine).

3 individualités forment alors une sorte de sororité (plus tard, sur le net, en cherchant le nombre de 'r' à "sororité" , je tombe sur cette citation qui me rappelle le film):

_"La mythologie grecque compte plusieurs triades féminines, dont quatre, selon Hésiode, sont immortelles : les Erinyes vengeresses, les terribles Parques, les douces Saisons et les charmantes Grâces. Selon Robert Graves, elles seraient chacune des avatars d’une même déesse lunaire, adorée sous son triple visage de nouvelle lune, pleine lune et lune à son déclin. Mais si on les observe dans leur totalité, elles nous donnent une leçon sur la maladie et la guérison spirituelles, incroyablement en avance sur notre temps : peur de la mort ou dépression, voire folie, et leurs antidotes"... ( selon kulturica.com)

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J'ai aussi aimé sa musique et elle me rappelle celles de films de Claude Chabrol, dont certains partagent une certaine atmosphère avec ce Robert Altman, réalisateur qui m'aura donc donné beaucoup de plaisirs sincères.

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le 13 avr. 2023

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PierreAmo

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