J'aime beaucoup beaucoup Tron Legacy, en dépit de ses imperfections et des années qui passent.
J'aime Tron Legacy pour son ambiance, son histoire simple mais vibrante qui s'adapterait bien en visual novel, et bien sûr sa musique incroyable. Film de son époque, il n'était pas déconstruit : c'était l'histoire d'un fils acceptant l'héritage de son père et entamant une relation avec une ICBM un peu niaise. Comble de la provocation anticipée, le métrage était intégralement blanc et hétérosexuel.
J'ai par ailleurs du respect pour le premier Tron archaïque, révolutionnaire et bricolé par des hippies avec une calculette. Ah, et Cindy Morgan.
Au fil de la précédente décennie et jusqu'à aujourd'hui, je me renseignais donc régulièrement sur ce qu'il en était de l'avancement du prochain opus.
Cela nous mène à l'historique de Tron Ares : à quelques mois du début du tournage de l'avorté Tr3n Ascension en 2015, Disney a décidé de tout annuler. En cause, le succès en demi-teinte de Legacy, le rachat de Marvel et Star Wars sur lesquels l'entreprise souhaitait se concentrer, et surtout les échecs répétés de leurs productions live originales (Lone Ranger, John Carter), en particulier du sympathique Tomorrowland.
S'en est suivi un chemin de croix au cours duquel Jared Leto s'est rattaché au projet en 2017, Joseph Kosinski s'en est retiré (ou a été écarté ?), les Daft Punk se sont séparés... La perspective d'une suite en bonne et due forme à Legacy relevait ainsi de plus en plus de la chimère, d'autant plus avec les changements de société ou en tous cas hollywoodiens post-2015. Cela n'a pas manqué, la production a choisi de "prendre une nouvelle direction" et de retravailler le projet, tout en gardant le principe de la Grille envahissant le monde réel.
En termes de marketing, cela m'a fait penser à un reskin à la Mr. Robot. Logo plus épuré, absence du logo Disney, proéminence de noir et de rouge, touches de blanc, glitch, musique moins hypnotique et plus déstructurée... Peut-être pour s'adapter au changement de perception du numérique après 15 ans ? Bref, je gardais espoir et attendais de voir la proposition.
Tron Legacy nous laissait sur Sam acceptant son héritage et Quorra découvrant le monde à ses côtés. La Grille (un nouveau monde numérique !) du père Flynn dans une carte SD autour de son cou, Sam reprenait les rênes d'Encom aux côtés d'Alan (le concepteur de Tron (qui combat pour les concepteurs)), le fils Dillinger (Cillian Murphy) restant au conseil d'administration (ok, ça c'était dans les bonus).
Tron Ares ne s'embarrasse pas de l'héritage de l'Héritage. Les personnages susmentionnés, la Grille du second film, ou encore les ISO, ne sont plus qu'un souvenir de 2010. Tron (qui combat pour les concepteurs) est lui-même absent du film qui porte son foutu nom. Sans parler d'user du de-aging dégueulasse qu'on nous sert régulièrement, les recasts existent. On ne sait pas où est la Grille du second film, terrain de jeu civilisationnel, expérience ratée et hors de contrôle du père Flynn. On ne sait toujours pas où est Yori, ce qui était déjà un problème dans Legacy. On aperçoit seulement Sam et Quorra sur des coupures de presse, en particulier au début et à la fin du film, matérialisant l'ombre de Legacy planant sur un Ares qui ne peut l'ignorer malgré son arrogance folle.
Sam s'est retiré d'Encom, la société s'est cassé la gueule et a été reprise par une nana issue de la diversité. Elle-même entourée de PNJ (bien humains) tout aussi divers et sans intérêt. Le petit-fils Dillinger dirige la société rivale et possède sa propre Grille. Il a hérité de la société familiale, a des problèmes avec sa mère et est mentalement perturbé. Vous la sentez, la déconstruction ? Il emploie également des hommes de main anonymes, puisqu'on est dans un mauvais blockbuster d'action.
La matérialisation d'entités numériques est banalisée dans les deux sociétés, à ceci près qu'elle ne dure que 29 minutes. C'est le moteur du film, et on pourrait se dire que cela n'a pas posé de problème à Quorra de par sa nature d'ISO, ou que le disque de Flynn contenait le fameux code de "permanence". Mais il faut croire que toutes les entités ainsi matérialisées restent connectées en Wi-Fi à leur Grille d'origine, puisqu'elles y sont renvoyées après leur désagrégation.
Ce blockbuster générique et oubliable n'a rien du virtuose de son aîné, et certainement pas au niveau de la BO de NIN, qui n'arrive pas à la cheville du travail des Daft Punk et de Joseph Trapanese. Son scénario bancal et alambiqué enchaîne les facilités. Les dialogues ne servent qu'à distiller des réflexions sans profondeur où à faire de l'exposition au mépris outrancier du "show don't tell".
On remarque au passage pas mal de "putain", "merde" et autres, en tous cas en VF. Pour un blockbuster grand public, ce n'est pas idéal.
Concernant le caméo de Jeff Bridges : quel désastre ! La recréation de la Grille du premier film (apparemment un disque dur du père Flynn imitant le serveur d'Encom en 82) est réussie, mais inexploitée, et la rencontre avec... un faux Kevin Flynn ? - on ne sait pas - ne donne lieu à aucune explication.
Toujours est-il que ce décor vintage laisse songeur, diégétiquement parlant, sur le (ou les) monde numérique et la façon dont il a visuellement évolué au fil des améliorations matérielles des serveurs et du réseau pour gagner en réalisme (et perdre peut-être en enchantement).
En digressant, on pourrait imaginer un film du point de vue des programmes (ce qu'ont fait Uprising dans la Grille de Flynn, ou encore Identity et Catalyst dans la Grille Arq - serveur secondaire de Flynn abandonné suite à son emprisonnement et exploré dans ces deux jeux vidéos) et leur rapport aux concepteurs.
On pourrait imaginer les personnages recastés de Tron et Yori, et leur candeur kitsch participant au charme du film de 82, dans une intrigue les menant à remettre en question leurs croyances un peu fanatiques sans devenir des antagonistes pour autant. Ce que fait Ares dans le présent film, quoique cela questionne moins le spectateur étant donné qu'il se rebelle contre un concepteur lui-même "méchant", pour finalement aider les "gentils" concepteurs (sur la base toutefois d'un marché pour accéder à la vie).
Le contraste avec le métrage de 82 pourrait être tellement cool !
On pourrait imaginer les conflits entre programmes à ce sujet, peut-être même entre Tron et Yori, et à la fin Tron sauve Yori des méchants programmes de Dillinger. Et on ajoute éventuellement le fils (ou la fille) de Sam et Quorra dans le mix, pour la continuité et pour qu'il y ait quand même un humain dans cette histoire. Ouais, ça c'est une fanfiction un peu déconstruite ou plutôt postmod, mais pas trop. Cet univers a bien mieux à offrir qu'un blockbuster fade ! (qui se permet en plus une scène post-générique de ses morts, mais au secours)
Et maintenant ? Plusieurs possibilités :
- Un quatrième opus, suite directe d'Ares, sortira dans les 5 ans ;
- Un quatrième opus, suite de Legacy ignorant Ares, sortira... un jour ? (syndrome de Terminator) ;
- Un reboot sortira à une date indéterminée ;
- Il n'y aura plus jamais de film Tron. Mort de la franchise.
Et finalement, la fin semi-ouverte de Legacy, qui pouvait très bien se regarder sans avoir vu le premier opus qui pique les yeux, n'est-elle pas, au fond, suffisante ?