S'il pourrait faire les frais d’une kyrielle d’arguments positifs, « Tu ne tueras point » ne peut que nous échapper, mettant en exergue de nombreuses incohérences, relevant souvent de l’outrance visuelle et idéologique, propre à Mel Gibson, ici de retour derrière la caméra. Tout d’abord, même si il est inspiré d’une histoire vraie extraordinaire, le film devient opaque dès qu’il s’agit d’assumer sa morale, son message. L’ex-interprète de Mad Max s’appuie ici sur l’histoire de Desmond Doss, jeune américain désireux de se battre dans le pacifique, face à l’armée japonaise. Sa particularité ? Il refuse catégoriquement de toucher une arme. Cependant, sur le front d’Okinawa, il n’hésitera pas à sauver près de quatre-vingt soldats en tant que sauveteur, dans les deux camps confondus.


La prétention de Gibson est donc d’orchestrer une psychanalyse de la guerre, posant la question de la place idéologique au sein du massacre. Le problème, c’est que le cinéaste semble avoir les yeux plus gros que le ventre, et ne maitrise pas son sujet, sur le plan visuel comme narratif, se livrant à une outrance gratuite.


Alors certes, « Tu ne tueras point » est un métrage doué d’une remarquable efficacité, et rassemble également de nombreux arguments le calibrant pour le succès, et plus particulièrement les Oscars. Singularisation d’un héros militaire américain, discours anti-guerre, casting charismatique, hommage aux guerriers, et pour couronner le tout, la rédemption personnelle de Gibson après les catastrophiques années 2000, où le luron semblait définitivement perdu. Pourtant, « Tu ne tueras point » dispose d’une caractéristique le rendant très peu commercial : l’excès. Et si ce dernier fait parti intégrant de l’œuvre du bad - boy américain, le bougre s’abandonne à la surenchère visuelle, ne semblant jamais mettre la main sur ses desseins. Mutilation, avalanche d’hémoglobine, décapitations, rats, et même un hara-kiri. Dans un film de guerre, oser le réalisme est une chose louable. Mais cadrer une bataille meurtrière comme si il s’agissait d’un débat pour la présidentielle américaine, c’est bien plus dérangeant. Et, au cours du métrage, ces séquences gores spectaculaires, voire grossières, ne reviennent pas qu’une fois, flirtant parfois avec le grotesque.


L’autre principale ambition de Mel Gibson, en plus de la reconstitution historique, est de se montrer anti-guerre. Mais comment prôner un tel discours en rendant hommage aux guerriers ? Et c’est là que le film devient réellement insolent : l’humanité vient des martyrs, de ceux qui se battent, mais cela ne fonctionne que du coté américain de la ligne. C’est méritoire de rappeler ainsi l’horreur de la guerre, mais « Tu ne tueras point » exploite justement un acte héroïque au profit de l’idéologie américaine. Ainsi, face aux japonais, la seule solution est l’annihilation, et non la pensée. Ce type de discours est acceptable, mais il est ici caché derrière un rideau de bonnes intentions, conduisant le spectateur à se poser des questions quant à l’honnêteté de la pellicule.


« Tu ne tueras point » glorifie les soldats, et non la guerre, mais renforce les images pour détruire les hommes, dégageant ainsi un inconfort inévitable. C’en est à se demander si l’Oncle Mel à des limites au sado-masochisme, d’autant qu’il s’agit ici de son meilleur film, auquel il manque toujours la pertinence d’un réel propos. Et finir le métrage en reprenant des images d’archives, pimentées par quelques violons, est encore moins innocents. On quitte ainsi « Tu ne tueras point » avec une séquence sans noblesse, et l’impression d’avoir brassé du vent. Et c’est cruellement dommage, car outre un propos plus ou moins hypocrite, le film dresse un portrait hautement convaincant de son personnage principal, touchant, complexe et idéaliste, de plus qu’il baigne dans le charisme de son casting, de sa bande originale et de ses décors, abordant avec sincérité les relations humaines. Mais à coté de ça, Gibson livre un objet cinématographique fourbe et too-much. Ou le sentiment d’avoir assisté à un ignoble gâchis.

Kiwi-
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le 27 oct. 2016

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