Aussi apprécié dans la profession que controversé dans ses prises de position publiques, Mel Gibson est une personnalité complexe qu’on a progressivement vu disparaître des radars à la fin des années 2000 à la suite de plusieurs polémiques. Condamné à jouer les seconds rôles, il ne restait de lui que le souvenir lointain de l’excellent acteur et du brillant réalisateur américano-australien qu’il fut. Et puis 2016, une année qui sonne comme la renaissance ultime pour le cinéaste, d’abord tête d’affiche du vigilante Blood Father de Jean-François Richet, projeté hors-compétition à Cannes, mais surtout l’annonce du retour de l’éternel Mad Max derrière la caméra après les chocs cinématographiques qu’ont été Braveheart, La Passion du Christ et Apocalypto. Présenté à la dernière Mostra de Venise, Tu ne tueras point a véritablement marqué les esprits et l’assemblée vénitienne a applaudi le retour du cinéaste visionnaire. Une presse internationale unanime qui salue la force toujours aussi présente et prégnante de la filmographie de Mel Gibson.



Dix ans après Apocalypto, Mel Gibson retourne derrière la caméra pour nous offrir l’un des plus impressionnants films de guerre de la décennie !



Avec Tu ne tueras point, Mel Gibson iconise à l’écran l’histoire de Desmond Doss, premier objecteur de conscience à avoir reçu la Médaille d’Honneur lors de la Seconde Guerre Mondiale pour son dévouement et son courage. Une histoire des plus hollywoodiennes, à laquelle Mel Gibson apporte sa patte indéniable. Depuis toujours, les héros de ses films sont portés par des symboles christiques qui font d’eux des personnages tiraillés par le doute mais constamment persuadés du bien-fondé de la cause qu’ils défendent. La règle ne change pas avec Desmond Doss, un citoyen convaincu par une foi hors-norme et dont l’adage « tu ne tueras point » est une des nombreuses lignes de conduite catholiques que l’américain s’est juré de suivre dans sa vie. Une démarche respectable mais qui lui sera pourtant reprochée, alors qu’il souhaite plus que n’importe qui défendre son noble pays. Car c’est seulement armé de sa conscience et de ses compétences en médecine (il était auxiliaire sanitaire) qu’il va s’entraîner pour partir au front. Déstabilisé par une foi inébranlable, Desmond Doss devra affronter pendant son entraînement militaire une hiérarchie rude qui ne comprend pas ses motivations et craint qu’il ne soit un fardeau sur le champ de bataille. Sans possibilité de l’interner en asile car jugé psychologiquement stable, l’Armée tentera par tous les moyens de le faire plier moralement. Bousculé, rabaissé, Desmond Doss passera même par la case Cour Martiale avant qu’il ne soit décidé de le laisser aller se battre pour son pays, sans armes. Armé de sa seule foi, il va faire preuve d’un courage exceptionnel et exemplaire derrière les lignes japonaises en sauvant la vie de dizaines de soldats blessés lors de la Bataille d’Okinawa. Ce parcours pour en arriver là participera à créer la légende de Desmond Doss, ce qui fera de lui une sorte de miracle auprès de ses camarades et de sa hiérarchie.



Tu ne tueras point fera indéniablement penser aux séquences les plus éprouvantes de Il Faut Sauver le Soldat Ryan.



Il ne fallait pas moins que Mel Gibson pour porter l’histoire de cet homme dont la force de détermination, de courage et d’altruisme allait l’amener spirituellement au dessus des hommes. Mel Gibson poursuit ainsi son travail sur la spiritualité en représentant son personnage de la manière la plus christique possible. Le cinéaste exprime clairement ses intentions : Il faut détester la guerre mais saluer avec un hommage sincère tous les guerriers. C’est dans ces antinomies que le cinéaste affirme son penchant pour les héros convaincus d’une noble cause dans des environnements barbares où l’enfer s’acharne pour laisser place à un retour au calme. Tu ne tueras point commence de manière relativement classique, avec la présentation de ce personnage dont on suit par période l’évolution, et ce qui l’amène à avoir une telle conscience. Il fait la rencontre d’une infirmière qu’il épouse rapidement et qui sera la seule épaule sur laquelle se reposer lorsqu’il sera malmené par l’Armée et ses propres camarades, dans un camp d’entraînement aux allures de Full Metal Jacket. Dès lors que tous les enjeux sont placés et que Desmond Doss montre au monde qu’il peut prouver sa valeur sur le terrain, le film prend alors une toute nouvelle dimension, qui caractérise bien la sauvagerie des précédents films de Mel Gibson. Avec une telle surenchère visuelle et la volonté de montrer la violence des combats dans ce qu’elle a de plus radicale, Mel Gibson renouvelle l’immersion guerrière avec une force brutale et une mise en scène au cœur des affrontements qui rendent compte avec brio de la sensation d’urgence, de nausées et de danger. Il y a une telle prouesse dans le cadrage et l’utilisation des plans séquences immersifs que Tu ne tueras point fera indéniablement penser aux séquences les plus éprouvantes de Il Faut Sauver le Soldat Ryan de Steven Spielberg. La guerre, c’est moche et Mel Gibson nous en met plein les yeux pour bien rendre compte de son horreur. Explosions à tout va, membres arrachés, chairs perforées, etc. Il y a une telle intensité dans ces séquences qu’il est difficile de rester insensible face à cette furie guerrière.



Derrière une apparence de film à Oscars, Tu ne tueras point n’hésite pas à renverser les conventions et s’imposer comme un impressionnant et humaniste film de guerre.



Dans cette folie, on reprochera tout de même à Mel Gibson de ne se contenter que d’un point de vue unique sur l’ennemi, représentant les japonais comme des êtres déshumanisés par la guerre et devenus de véritables machines à tuer. Rares et brèves sont les séquences qui apportent des nuances sur cet ennemi, rattaché au diable comme le capitaine l’explique en interrogeant Desmond Doss : « Tu as bien conscience que l’ennemi que nous combattons est un véritable Satan ? ». A cela, Mel Gibson et son personnage répondent par l’affirmative et oublient tout recul pour donner un point de vue qui oublie toute la dimension binaire du conflit et ne tend qu’à montrer la grandeur des États-Unis. Il est néanmoins difficile d’entrevoir clairement les intentions patriotiques du film, tant Mel Gibson semble autant dénoncer l’horreur inacceptable des conflits que la grandeur et la bravoure des hommes qui s’y battent. La dimension judéo-chrétienne trop explicite du film pourra également rebuter tant chaque scène glorifie sans vergogne cet homme apparemment sans failles, notamment dans une dernière scène sans aucun doute possible sur le parallèle entre Jésus Christ et Desmond Doss, le martyr réhabilité. Classique et époustouflant, c’est ce qui caractérise Tu ne tueras point par son schéma narratif attendu, mais transcendé par la dimension religieuse et les scènes de bataille implacables chères au style Mel Gibson. Dans la première partie, Tu ne tueras point semble donc rouler sur des rails, n’offrant qu’une succession de scènes académiques, amplifiées par une composition orchestrale patriotique mais qui par la suite vont rendre plus fort l’impact de la seconde partie, au beau milieu des combats où les soldats se battent sous un déluge de flammes, comme si l’Enfer s’abattait sur Terre. C’est véritablement la seconde partie qui justifie la première et rend le film aussi intense et apocalyptique. On saluera un casting impeccable -pour l’anecdote, presque entièrement australien- avec les honnêtes performances d’Hugo Weaving, Sam Worthington, Vince Vaughn ou Teresa Palmer, et dans lequel Andrew Garfield s’extrait remarquablement et confirme ses justes choix de carrière après la parenthèse Amazing Spider-Man avant qu’on ne le retrouve prochainement dans le très attendu et autre favori des Oscars, Silence de Martin Scorsese.


Autant biopic incroyable que film de guerre épique, Tu ne tueras point est un film pour lequel il aura fallu attendre une décennie entière pour retrouver la grandeur et la maîtrise de Mel Gibson derrière une caméra. Cela en valait néanmoins la peine tant le film offre une représentation à la hauteur de la valeur humaine de Desmond Doss. Tu ne tueras point est un film humaniste et brutal dans la lignée des précédents films de Mel Gibson. En remportant le Prix du Meilleur Réalisateur aux Hollywood Film Awards, Tu ne tueras point s’annonce ainsi comme un candidat sérieux aux prochains Oscars et s’impose déjà incontestablement comme un très grand film de guerre.


Retrouvez la critique de Tu ne tueras point et des autres films de Mel Gibson sur CSM.

Softon
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le 2 nov. 2016

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Kévin List

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