Guy Maddin est un des rare voire le seul réalisateur capable d’amener le cinéma expérimental en salles aujourd’hui. Mais qui dit cinéma expérimental ne dit pas pour autant film soporifico-chiant porté aux nues par des artistes contemporains en mal de reconnaissance.

Car l’expérimentation chez Maddin se veut ni dénuée d’âme, ni de poésie. Revisitant dans chacun de ses films des mythes fortement liés à la psychanalyse (l’amour éternel dans Dracula, pages tirées du journal d’une vierge, Œdipe dans Careful, etc.), avec Ulysse, souviens-toi ! (Keyhole en version original), c’est cette fois à l’odyssée homérique qu’il s’attaque. Une odyssée se déroulant à huis-clos alors qu’Ulysse Pick retourne chez lui après des années d’absence et tente en vain d’explorer de fond en comble cette maison qu’il ne connaît plus. Gangster au passé trouble interprété par l’énigmatique Jason Patric, il croisera lors de son périple ses enfants abandonnés et amis délaissés, fantômes en souffrance, avant de pouvoir rejoindre sa femme enfermée dans la seule pièce qui lui est inaccessible.

Mais si dans la légende Pénélope attend patiemment le retour de son mari, ici la femme d’Ulysse (Isabella Rossellini) est enfermée contre son gré, partagée entre l’amour qu’il lui reste pour Ulysse et la haine qu’elle garde d’années de mauvais traitements. Le héros devra donc accomplir son chemin initiatique en une nuit, affrontant ici ses monstres intérieurs, s’obligeant à se souvenir.

Si Maddin reste fidèle au noir&blanc qu’il affectionne tant, ses expérimentations dans son nouveau métrage portent sur toutes les possibilités que le numérique offre. Abandonnant en effet pour la première fois l’argentique, il travaille le grain de son image, sa photo, ses effets spéciaux avec une inventivité certaine. On sent que le réalisateur canadien se fait plaisir à découvrir de nouveaux codes du 7ème art sans pour autant renier les influences des réalisateurs qui le hante depuis ses débuts : Von Stroheim, Lang, Murnau… Mais attention, jamais de plagiat chez Maddin (on est pas chez Hazanavicius), simplement une volonté de créer autre chose avec l’existant, de personnaliser ses obsessions tant cinématographiques que psychanalytiques.

Le revers de la médaille étant alors que la trame narrative d’Ulysse, souviens-toi ! se perd entre le traitement de cette mafia des 20’s et la quête personnelle du personnage principal, laissant parfois le spectateur largué dans cette débauche d’images qui s’entrechoquent. Mais malgré cette confusion, on se laisse porter par l’onirisme du film, reflet de notre inconscient et plus généralement, de l’inconscient collectif forgé par plus d’un siècle d’images mouvantes.
Miho
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le 3 nov. 2012

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