L'amour, pour moi, est un sentiment délicat qu'il faut savoir manier avec douceur et tendresse. Quand vous en parlez, surtout au cinéma, il faut que le spectateur ressente que cela vient du coeur et que votre discours, vous y croyez du fond de vos tripes.


Je n'ai rien ressenti de tout cela dans Un Baiser s'il Vous Plaît. La faute à des personnages empruntés au théâtre, comme les dialogues Vaugelas sans reliefs et dénués de véracité qu'ils déclament, tout droit sortis d'un texte sponsorisé par la Comédie Française. Emmanuel Mouret se donne le beau rôle. Celui du timide, du lunaire. De celui qui a un corps dont il ne sait pas quoi faire et dont les bras ballants semblent le gêner. La réalisation revêt les mêmes artifices : simple, dépouillée, d'une relative poésie naïve qui voudrait se donner des airs aériens et réflexifs.


Sauf que vu à travers mon masque de gros vilain insensible, tout cela relevait de la posture. Tout me semblait faux. Comme les tergiversations et la maladresse factice du personnage d'Emmanuel Mouret. Comme son précieux langage soutenu et empesé. Comme cette réalisation finalement poseuse, hypocrite et condescendante, qui parle beaucoup mais qui n'en montre que très peu, sous prétexte d'un sentimentalisme, d'une pudeur et d'un côté malhabile en kit digne d'une référence imprononçable d'un rayon Ikéa en période de deuxième démarque.


Encensé lors de sa sortie cinéma par l'élite de la critique intellectualisante qui pense et qui rit, Un Baiser s'il Vous Plaît ne parle pas d'amour. Seulement des petits problèmes, des minuscules tourments égoïstes et vains, des cas de consciences insignifiants de la petite bourgeoisie évanescente qui pense avoir le monopole du film nombriliste à message qu'elle croit à tort universel, d'une douleur morale dérisoire. A tel point que sans s'en rendre compte, la première partie de l'oeuvre revêt toutes les caractéristiques du film bien pensant de droite tendance catho mettant en scène deux puceaux à la découverte de leur corps pendant leur nuit de noces.


Un Baiser s'il Vous Plaît souffre ainsi d'une sorte de fausse naïveté chichiteuse tout à fait artificielle qui enfile les lieux communs comme d'autres les perles. Il théorise l'amour et en parle en suscitant autant d'intérêt qu'un soliloque de philosophes un soir de lecture publique dans une librairie cossue. Quant à Mouret, il adopte la tête du terminale attardé qui triple son année rendant une rédaction toute aussi hasardeuse que d'un mortel ennui.


Cette intellectualisation de ce qui est finalement, appelons les choses par leur nom, l'infidélité, est d'autant plus hypocrite que Mouret et Ledoyen, par la suite, copulent comme des lapins puis, pour se donner bonne conscience, cachent le mot "cocu" derrière des litotes qui laissent sans voix telles que "attirance seulement charnelle" ou encore "instincts sensuels"... Et la voix off prend alors son envol pour déclamer un texte plein de voyelles doublées, triplées, quadruplées et coiffées de l'accent circonflexe du parler précieux du noble de province qui s'ignore.


Un Baiser s'il Vous Plaît finit par agacer et devient d'un prévisible confondant, tant on voit arriver de loin la tentative de rapprochement des compagne/mari éconduits par le couple Mouret/Ledoyen. Emmanuel Mouret, sous prétexte de rendre la séparation moins douloureuse avec celle qu'il a trompée, ne soigne finalement que ses propres blessures narcissiques et sa mauvaise conscience petite bourgeoise. Quant à la tromperie et la confiance trahie, il a la volonté de les effacer, comme si rien ne s'était passé, par un échange standard. Car dans son monde lunaire, merveilleux et artificiel, l'amour est aussi simpliste que le remplacement d'une personne par une autre, comme on passe au S.A.V. d'une grande enseigne d'électroménager pour procéder à l'échange d'un produit défectueux , ou pour obtenir un bon d'achat à faire valoir plus tard. Est-ce cela l'amour pour la critique qui intellectualise érigée en monopole du bon goût ?


La prise de conscience du personnage du mari de Virginie Ledoyen n'est dans cette représentation qu'un malheureux cache misère qui ne fait que prolonger le propos. Julie Gayet conclut que cette triste histoire représente quand même "un bien pour un bien", avant de réfléchir sur la signification du baiser suspendu à ses lèvres qu'elle s'apprête à donner à un homme de passage. Même si elle disserte longuement sur les ravages qu'il pourra produire, celui-ci aura bel et bien lieu. Puis le silence se fera. Qu'adviendra-t-il du sentiment amoureux qui se fissure déjà ?


Quant à Mouret, le rêveur lunaire imposteur, il est content. Il les aura eu, ses baisers. Aussi nombreux qu'inconséquents, mensongers et dévastateurs.


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