Mémoires de nos pères, l’avenir de nos mères

À la ferveur des petits mots et des petits gestes, le retour de Mia Hansen-Løve (Le Père de mes enfants, Un amour de jeunesse, L’Avenir, Bergman Island) sur la Croisette symbolise l’abnégation. Il s’agirait de la bonne synthèse de ces précédentes œuvres, précurseurs à même leur titre. L’empreinte de ses parents, enseignants de philosophie, l’a porté à croire un en renouveau constant, là où une vie s’achève, à côté d’une vie qui regarde enfin vers d’autres horizons. Le récit familial conditionne ainsi des pensées qui s’opposent, entre une soudaine mélancolie et la fièvre d’une jeunesse à rattraper. Le sentiment y est sincère, juste et suffisamment élégant pour qu’on y prête attention.


Sandra jongle entre son travail d’interprète, sa jeune fille écolière (Camille Leban Martins), un ami retrouvé et un père dans le besoin. Léa Seydoux porte la charge mentale de son personnage avec une simplicité qui pourrait en dérouter plus d’un, s’il est trop habitué à la voir déguisée et fantasmée dans des projets très soucieux de son image. Ici, sa coupe courte et sa démarche n’ont plus rien du glamour d’un cinéma démonstratif. On se permet de la regarder dans les yeux, quand bien même elle a le dos tourné, afin de sonder une psyché qui s’effondre sur ses principes. À la vue de son père, Georg (Pascal Greggory), souffrant d’un handicap qui lui ôte sa personnalité et sa vivacité, difficile de résister à la tentation de fuite. Le cadre nous rappelle ô combien la souffrance de l’un, impacte fatalement son entourage. Il est donc intéressant de venir greffer d’autres partis, dont le rapport à la mémoire peut devenir une question spirituelle.


Les pensées de son père sont, dès lors, enfermées dans les livres qui l’ont instruit et inspiré. Mais ce que retiendra trop rapidement Sandra, c’est la nécessité de le garder isolé de son petit monde à elle, dans le simple but de rebondir sur sa vie, qu’elle a tendance à oublier. La cinéaste consacre ainsi un pan optimiste sur la réparation des êtres, pour qui le réconfort ne suffit plus. En la plaçant sur le chemin du cosmochimiste Clément (Melvil Poupaud), elle lui donne l’opportunité de laisser la mélancolie derrière elle, tout en acceptant une fin de vie. Toute la tendresse consacrée à cette course épineuse, entre deux adresses d’EHPAD, s’y trouve, avec des conversations qui ne justifient qu’une répétition, qu’un temps à rattraper. Se représenter à chaque fois face à son père devient un calvaire qu’elle ne supporte plus mentalement. Et de son côté, lui non plus n’atteint pas la lucidité qui lui échappe. Il se souvient davantage des choses qu’il perd que des choses qui lui reste et c’est un détail convenu, mais surtout tenu, pour que l’on s’implique dans cette aventure parisienne.


Ce qui peut toutefois laisser perplexe, c’est la fresque accordée à la bourgeoisie locale, qui se vante de participer à des actions écologiques, tout en faisant fi de complaisance la scène qui suit, un verre de vin à la main. Hansen-Løve souhaite caractériser et incarner ce milieu, mais n’y parvient pas naturellement et dilue involontairement ses propos politiques. « Un beau matin » n’est pas non plus teinté d’une noirceur abyssale et se permet de jouer la carte de l’humour, avec une retenue qui entre parfois en contradiction avec son sujet. La cinéaste esquive sans cesse le caractère alarmant de nos aînés, à qui il ne reste plus que la démence pour les qualifier. Il est tout à fait difficile de vivre, mais il n’est pas toujours aimable pour être honnête.

Cinememories
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le 5 oct. 2022

Modifiée

le 5 oct. 2022

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