Politique, politique ! Est-ce que j'ai une gueule de palme d'or politique ?

Alors oui, sans l’ombre d’un doute, et comme il l’a été (beaucoup) remarqué et (beaucoup) commenté, Un simple accident est ce qu’on appelle une palme d’or politique. C’est un bras d’honneur fait au régime des mollahs iraniens qui, bien sûr, n’a pas manqué de critiquer l’attribution de la palme au film de Jafar Panahi. Et oui, Un simple accident est une palme d’or politique avant d’être une palme d’or disons «artistique» (mais là, on rentre dans le domaine du subjectif), car Un simple accident manque cruellement de souffle et de complétude (on va y revenir). Et puis bon, pas la peine de chouiner : ce n’est pas la première fois qu’une palme d’or vaut pour objet de contestation et de revendication (on pourra citer, entres autres, Chronique des années de braise, L’homme de fer, Le goût de la cerise, Underground, Fahrenheit 911, éventuellement Moi, Daniel Blake…), et ce n’est certainement pas la dernière.

La palme d’or remportée par Panahi, cinéaste ostracisé dans son pays (il n’est, malheureusement, pas le seul), est donc une palme qui entend dénoncer l’acharnement constant d’un pouvoir totalitaire contre un homme et contre son peuple. Lors de sa deuxième incarcération dans les geôles iraniennes en juillet 2022, et ce durant sept mois, Panahi a pu échanger avec de nombreuses personnes sur les raisons de leur emprisonnement, sur leurs conditions de détention et sur l’horreur des coups et de la torture. À sa sortie, Panahi s’est senti obligé de faire un film sur elles. Sur elles et sur une société iranienne plus que jamais déterminée à revendiquer son rejet d’un régime meurtrier (la mort de Mahsa Amini aura servi de déclencheur ultime). Panahi a ainsi imaginé un récit questionnant les notions de vengeance, de justice et de pardon en se demandant ce qui pourrait bien se passer si l’un des hommes rencontrés en prison, une fois sorti, mettait par hasard la main sur son bourreau.

Avec trois autres victimes de ce même bourreau (mais est-ce vraiment lui ?), il s’embarque dans une sorte d’épopée mi-burlesque mi-tragique où les dilemmes des personnages, un rien archétypaux (chacun représentant une sorte de valeur éthique sur l’échelle de la bonne conscience), viennent rappeler les fragilités et les travers de notre condition (et qu’aurions-nous fait, nous ?). Mais l’intrigue suit un chemin extrêmement balisé, sans surprise ni véritable tension (alors qu’il y avait matière à). L’idée de transformer un banal accident (un chien écrasé) en une spirale de situations rocambolesques et de décisions morales à prendre est, certes, intéressante sur le papier. Mais, à l’écran, elle est rapidement neutralisée par une ambition visuelle inexistante et une progression scénaristique atone.

Les événements se déroulent de façon mécanique, sans offrir au spectateur la moindre immersion émotionnelle malgré la dureté des thèmes abordés (voir, sur un sujet assez proche, Les fantômes de Jonathan Millet ou La jeune fille et la mort de Polanski, autrement plus convaincants). Et le film de s’enliser dans un enchaînement de scènes longues et ennuyeuses qui, parfois, cherchent même à créer du suspense là où il n’y en a pas vraiment (la scène avec les gardiens de parking par exemple, ratée). Un simple accident est avant tout un cinéma de dialogues, un cinéma presque théâtral, et la référence faite par l’un des personnages à Beckett et son En attendant Godot n’est pas totalement fortuite, référence que l’on pourra également déceler dans la présence de cet arbre rachitique planté en plein désert où l’on cherchera à se débarrasser de l’ancien bourreau.

D’autant que la réalisation de Panahi se résumera, elle, à une succession de plans fixes et de plans-séquences mollassons (en particulier lors du dénouement), le manque de moyens et d’autorisation de filmer (tout a été tourné en totale clandestinité) expliquant sans doute cette absence d’ampleur dans la mise en scène. C’est, finalement, la toute dernière scène du film qui viendra ébranler, beaucoup. Nous marquer par sa terrible simplicité, par son hors-champ abyssal laissant le spectateur dans le doute et à sa seule appréciation d’une humanité capable de bonté ou, au contraire, ivre d’inimité. Et donc, non : Un simple accident n’est pas un film réussi (c’est d’ailleurs ce qui a été dit à la télévision d’État iranienne pour discréditer le film). Pas un film qui méritait la palme d’or. Pas juste pour une scène finale saisissante. Mais une palme d’or doit-elle uniquement tenir compte de l’aspect artistique ? Bien sûr que non. Donc, oui : Un simple accident est une palme d’or politique (c’est aussi ce qu’a dit la télévision d’État iranienne). Une palme pour Panahi. Pour les Iraniennes et les Iraniens qui continuent de lutter pour leur liberté. Une palme pour faire chier les mollahs ; et ça, quand même, c’est plutôt kiffant.

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mymp
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le 13 oct. 2025

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