Le londonien Jonathan Glazer prend son temps pour réaliser ses longs-métrages puisque Under the skin est seulement son troisième, le précédent Birth datant de 2004. Auteur de clips pour Radiohead et Massive Attack et de nombreux spots publicitaires, c’est donc un artiste particulièrement sensible à la forme. L’ambition formaliste de Under the skin pourrait paraitre démesurée ou prétentieuse, vaine ou creuse si elle n’était tout simplement tenue de bout en bout. Adapté du roman de science-fiction Sous la peau signé de l’australien Michel Faber qui vit à présent en Écosse, le film raconte l’odyssée d’une extraterrestre arrivant sur Terre, prenant un aspect humain pour séduire sans discontinuer des hommes avant de les faire disparaitre. Cette femme (Scarlett Johansson méconnaissable et performative) n’a d’humain que l’enveloppe, incapable d’exprimer émotions ou sensations. Au volant d’une camionnette, elle parcourt, observatrice et prédatrice, les paysages urbains et campagnards écossais. C’est une sorte d’errance, une quête qui donne lieu à une véritable expérience sensorielle, assez proche de celle qu’on peut vivre au cours d’une visite d’exposition d’art contemporain. Des plans prodigieux, envoûtants et angoissants, enrobés de la musique de Mica Levi qui renforce cette impression de malaise (une structure tonale qui fait penser elle-même à celle utilisée pour la célébrissime série Les Envahisseurs de Larry Cohen).

Sur cet objet inouï planent les ombres tutélaires de David Lynch (pour l’irrationalité et le goût des freaks), de Claire Denis (pour le soin particulier apporté à la bande-son et les scènes de forêts au milieu des immenses sapins où s’engouffre le vent – plus précisément L’Intrus) et de Leos Carax (pour la croyance dans le cinéma et la dérive motorisée, un van au lieu d’une limousine). Il faut par conséquent accepter d’abandonner son esprit cartésien au vestiaire et, au contraire, se laisser emporter et submerger par des scènes sépulcrales et glaçantes, emplies d’une poésie sombre et morbide, qui font de l’ensemble une ode romantique et érotique qui n’en finit pas de solliciter et d’exciter le cortex du spectateur. Under the skin proche de l’abstraction et de l’allégorie contribue magnifiquement à définir le territoire du septième art comme celui de l’audace et de la sensation authentique. Riche de ses références sans en être lesté, ce film demeure au final un objet unique et personnel sans semblable. Ne serait-ce pas en quelque sorte la définition du chef d’œuvre ultime ?
PatrickBraganti
10
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le 26 juin 2014

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