Il est inévitable que l'on se dise qu'un film se déroulant aux États-Unis, dans lequel on a deux camps viscéralement opposés, ne pensant qu'à se détruire l'un et l'autre, est plus que d'actualité en l'an de grâce 2025. Mais ce n'est pas tant le discours politique qui intéresse Paul Thomas Anderson (de toute façon, ce n'est pas de ce réalisateur qu'il faut attendre des propos bien tranchés !). À vrai dire, sur ce point, on ne sait pas sur quel pied danser. D'ailleurs, il n'y a pas d'entre-deux. On est dans une Amérique uchronique — dans laquelle feue la cabine téléphonique a autant de place que le portable — où chacun est soit d'un côté, soit de l'autre. Chacun est un agent du chaos.


Non, en fait, ce qui fait la force de ce long-métrage et son énergie — oui, parce que malgré les près de trois heures de l'ensemble, je n'ai pas vu du tout le temps passer —, ce sont les tensions, les contradictions, les zones d'ombre qui ressortent de toute cette anarchie, aussi bien dans les moments intimistes que lors des séquences d'action. La plupart des personnages semblent plus guidés par l'émotion, l'adrénaline que par des convictions profondes. Même le mélange forcené des tons entre satire politique, comédie noire et drame familial participe au bordel ambiant. Et si on s'attache aux deux personnages principaux, c'est surtout parce qu'il y a une dynamique père-fille entre eux. Et le fil conducteur est un parent qui passerait par les sept cercles de l'Enfer pour sauver sa progéniture. Voilà ce qui pousse réellement le spectateur à s'investir dans le récit.


Leonardo DiCaprio, en paternel désemparé, en outre déchiré entre son passé révolutionnaire et un présent chaotique, donne une performance intense bien barrée dont il a le secret. Mais, pour le coup, je trouve qu'il se fait un peu chaparder la vedette par deux de ses partenaires. D'abord par Sean Penn, dans le rôle d'un antagoniste extravagant absolument mémorable — rien que sa démarche de type qui a l'air d'avoir reçu un gros coup de genou dans les noisettes le rend fascinant —, aussi ridicule que terrifiant, tout en étant complexe. Ensuite par Chase Infiniti, qui, dès ses débuts au cinéma, prouve qu'en termes de talent, de présence et de charisme, elle n'a rien à envier aux deux stars masculines précédemment citées. Ce qui est — pour employer un euphémisme — très loin d'être un mince exploit. Je suis nul pour les prédictions, donc je me contenterai de dire que, tout en ne sachant pas si elle fera ou non une grande carrière, elle a tout pour.


Par contre, il est dommage que les autres personnages — bien que tous interprétés par d'excellents acteurs — manquent d'épaisseur psychologique et soient réduits, lors de leurs apparitions, plus ou moins longues, à des archétypes ou à de simples fonctions dans l'histoire. Ils passent, mais on les oublie et, même pire, on n'en a rien à foutre de leur sort. Enfin, je l'ai ressenti comme cela. Ce qui fait, par exemple, en grande partie que je n'ai pas été touché un seul instant par tout ce qui était autour des liens à distance entre mère et fille. Pour moi, c'est la faiblesse du film.


En résumé, Une bataille après l’autre, notamment en ne cherchant pas à livrer un discours politique clair, réussit à plonger le spectateur dans le chaos d’un pays fracturé. Si les personnages secondaires manquent de consistance, l’ensemble tient par sa puissance tumultueuse, sa densité ne permettant pas la plus petite seconde d'ennui, la richesse de ses contradictions et surtout par un fabuleux trio d’interprètes principaux — DiCaprio, Penn et la révélation Chase Infiniti. Une œuvre de Paul Thomas Anderson ne peut pas laisser indifférent et ce film n'est pas l'exception à la règle.

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Plume231

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