Un film qui donne finalement plus envie de passer son permis que de faire la révolution, il fallait y penser, Paul Thomas Anderson l'a fait. Précédé d'une immense attente, nourrie à la fois par le culte développé chez certains cinéphiles pour l’œuvre de Paul Thomas Anderson (ou PTA pour les intimes) et par les retours dithyrambiques venus des critiques américains, voici donc Une bataille après l'autre (traduction fidèle du titre américain), en salle depuis une semaine au moment où je tape ces lignes.
Ayant vu la quasi-totalité des films de PTA sans jamais rejoindre la secte de ses admirateurs (j'ai adoré Phantom Thread, le reste je peux m'en passer), je n'attendais pas plus que ça ce nouvel opus. Je n'ai pas non plus lu le roman de Thomas Pynchon qui a servi d'inspiration au film. Hélas, en trainant sur twitter, j'ai eu le malheur de tomber sur la liste des 5 films que PTA recommandait de voir avant le sien, ce qui a joué sur mes attentes envers le film et explique sans doute en partie ma note. Outre The French Connection (1971) (cool, j'adore les films des années 1970 où tout le monde est corrompu) la liste contenait La Bataille d'Alger (1966), film révolutionnaire radical semblant un peu déplacé chez un cinéaste ne s'étant, a priori, jamais intéressé à des questions ouvertement politiques.
Ma curiosité aiguisée (PTA a-t-il lu Marx ? Les Américains peuvent-ils retrouver leur état de grâce des années 1970 et enfin nous refaire un bon thriller paranoïaque ? Va-t-on voir Benicio Del Toro faire du nunchaku comme la bande-annonce le laissait deviner ?) je décide de prendre trois heures de ma vie pour aller au cinéma, alors pas en IMAX, en Vistavision ou que sais-je, mais en MK2 où l'espace devant les sièges est toujours légèrement trop petit pour mes jambes.
Tout de suite, ça commence pas très bien. Le film se centre dans ses premières minutes sur Perfidia, révolutionnaire jouée par Teyana Taylor, actrice-chanteuse qui m'avais impressionné dans A Thousand and One (2023). Hélas, cette dernière n'a pas grand chose à faire à part se complaire dans une espèce de caricature ultra-sexualisée malheureusement souvent associée aux personnages de femmes noires dans les films américains. Dans mon immense bonté, je choisis d'attribuer ça à une satire (et non pas un satyre encore que mdr) maladroite, qui va par ailleurs imprégner tout le reste du long métrage. Reprendre les représentations dominantes et les exagérer pourquoi pas, mais là ça se fait aux dépens de la crédibilité de l'intrigue, qui n'a pas grand sens. C'est en effet Perfidia qui va lancer la trame narrative principale pour le reste du film par une série de décisions toutes aussi improbables les unes que les autres, pas de spoiler ici mais franchement c'est difficile à croire qu'une révolutionnaire noire puisse faire ça, dans un pays où les Black Panthers ont existé.
La première demi-heure est centrée sur le groupe révolutionnaire mené par Perfidia et sur son histoire d'amour avec le personnage de Leonardo DiCaprio (Bob). Puis, on effectue un saut dans le temps pour retrouver ce dernier, 16 ans plus tard, en train d’élever (bien grand mot, elle s'autogère la gosse) la fille qu'il a eue avec Perfidia, portée disparue. A ce moment-là, le film bascule dans ce genre que les Américains aiment tant : le drame familial, avec quelques scènes d'action quand même histoire de réveiller périodiquement le spectateur, et quelques scènes cocasses pour faire rire le chaland et se moquer gentiment de Bob, révolutionnaire vieillissant, ancien expert en explosifs devenu expert en marijuana. Ça se laisse regarder, très franchement les 2h40 de film passent rapidement et ce n'est jamais déplaisant, mais j'ai du faire le deuil du film que j'avais imaginé en entrant. Ça arrive !
Une bataille après l'autre est donc un drame familial/film d'action tragi-comique respectable, mais pas un film politique, ni par ailleurs un film ayant grand chose à dire sur le processus révolutionnaire.
Les motivations des révolutionnaires du French 75, le groupe de Bob et Perfidia, sont floues (comme pour beaucoup de révolutionnaires certes) et mélangent un peu tous les sujets woke que PTA a pu conjurer (la libération des centres de rétention pour clandestins, la défense de l'IVG, des attaques vaguement anti-capitalistes) si bien qu'on ne comprend jamais vraiment quels sont leurs motivations, alors que ce sont bien les motivations qui sont le ciment de toute lutte révolutionnaire. Une représentation fidèle à la réalité aurait sans doute montré tout ce petit monde en train de perdre son temps à s'engueuler sur un détail des œuvres de Trotsky, mais c'est pas très cinématographique. Le seul moment de friction idéologique est quand Di Caprio est dépassé par le wokisme d'un de ses interlocuteurs qui se sent oppressé par la violence invisible de ses appels répétés. Alors j'ai rigolé mais on va pas aller bien loin avec ça. Pour un film qui se veut (je pense, j'espère) un satire, il y avait tellement de blagues à faire que le résultat est bien décevant.
Dans le concret, l'organisation de la lutte donne lieu à des moments assez drôles à base de mots de passe tarabiscotés, mais là encore demande de mettre son cerveau en veille pour accepter que les mots de passe en question n'ont pas changé depuis seize ans (!!) alors que la rotation des codes est à la base de toute organisation révolutionnaire ayant un peu de jugeote. Pourtant le personnage de Di Caprio regarde la Bataille d'Alger à un moment du film mais de toute évidence il ne prend pas de notes (il est en train de fumer un gros joint, ceci explique cela). Cet immobilisme est aussi une occasion manquée d'explorer comment la lutte révolutionnaire a pu évoluer avec la technologie, et avec le développement d'une surveillance de masse qui oblige à trouver des alternatives. Le personnage de Benicio del Toro montre bien une manière différente de s'organiser, mais cela pourrait être plus poussé. Il n'y a qu'à voir How to Blow Up a Pipeline (2022) pour se rendre compte que ça peut faire du bon cinéma.
Au delà des aspects concrets ou purement doctrinaux, ce que le film peine le plus à saisir c'est l'ethos de la révolution. Par trois fois, l'intrigue avance parce qu'un personnage a balancé ses camarades, même pas sous la menace de la torture hein, juste après de vagues menaces. C'est quoi ces révolutionnaires en carton ? Si encore c'était un commentaire sur la lâcheté qui peut saisir quelqu'un quand il faut passer des paroles aux actes, mais même pas, rien dans la personnalité des acteurs concernés ne les prédispose à faire ça...
Si la révolution est mise en scène de façon aussi peu crédible, c'est aussi parce que l'opposition est si mal définie. Le principal antagoniste a beau être un agent de la police anti-migration, il se comporte la plupart du temps non comme un rouage d'un système plus large mais comme un électron libre n'agissant que pour de basses raisons psychosexuelles. En cela, l'acteur principal de tout bon thriller paranoïaque (l’État et/ou son bras armé) n'est présent que par intermittence, alors que dieu sait qu'il y a des choses à dire sur la surveillance mise en place par les États-Unis à l'encontre de ses propres citoyens, même ceux qui ne posent pas de bombes (Citizenfour, (2014))
Le pompom sur la Garonne (ou sur le Colorado pour rester dans le thème californien) c'est l'arrivée de la secte de suprématistes blancs qui déclenche la course poursuite occupant toute la fin du film, des espèces de caricatures de droitards qui nous permettent de bien rigoler en se disant "haha heureusement que dans la vrai vie ça n'existe pas". Et oui, dans la vrai vie la principale menace ne vient pas d'un groupe de cinq couillons qui font des réunions secrètes dans des bunkers souterrains mais bien de structures et d'idéologiques si invasives qu'il est vain d’espérer s'en débarrasser avec des actions ponctuelles.
Évidemment, je ne m'attendais pas à ce que PTA nous sorte une Bataille d'Alger 2.0 financée par Warner Bros, ni forcément à ce qu'il fasse un film gauchiste ou révolutionnaire (c'est un Américain, pour les Américains ne pas être raciste c'est déjà être de gauche de ce que j'ai compris des critiques letterboxd qui crient au wokisme). Je trouve tout de même que ce film ne comprend pas les bases du processus révolutionnaire, et ne peut donc ni en faire critique ou une satire efficace, ni en faire un moteur narratif puisque les décisions prises par ces révolutionnaires du dimanche n'ont aucun sens. En dépit de bien des défauts, l'Amérique a quand même une culture de la révolte (les Black Panthers, le mouvement contre la guerre du Vietnam, le mouvement des droits civiques, une période où les syndicats étaient forts) totalement absente ici à part par quelques références détournée (l'usage de The Revolution Will Not Be Televised de Gil Scott-Heron). La révolution n'est ici qu'un arrière plan romantique, un prétexte, un costume. De là à penser que PTA est en fait un agent déguisé du capital dont le but est de maintenir les masses asservies afin que ces dernières n'envisagent même pas que la révolte est possible, il n'y a qu'un pas, que je ne franchirais pas car j'aimerais éviter la fiche S.