Film de Paul Thomas Anderson, Une bataille après l'autre n’est pas qu’un simple thriller : c’est un putain de film, une expérience viscérale qui va marquer son époque.
Spectateur, je te préviens : la première partie, riche mais foisonnante, peut sembler un peu longue tant elle installe le contexte politique radical des années passées. Mais une fois que ça décolle, le récit file comme le vent : une course haletante, sans répit.
Le casting est impeccable, familier mais renouvelé dans son jeu. Leonardo Di Caprio, égal à lui-même, incarne un ancien révolutionnaire stone et paranoïaque, déchiré entre déprime larvée et élan vital d’amour pour sa fille. Face à lui, Sean Penn livre une performance saisissante en Colonel Steven J. Lockjaw, nemesis sombre et pervers, déjà pressenti pour les Oscars. Benicio del Toro (toujours génial) campe un senseï calme et obstiné, qui s’offre même un petit pas de danse. Et révélation totale : Chase Infinity, sortie de nulle part, qui porte son rôle à la perfection.
Ce qui distingue ce film, c’est sa physicalité. Deux scènes parmi d’autres : une poursuite automobile façon Bullitt, et une autre digne de Tex Avery, ou Bob prouve que les blancs ne savent pas sauter ;)
Mais au-delà de l’action, Une bataille après l'autre a du sens. Paul Thomas Anderson adapte Vineland de Thomas Pynchon, roman halluciné publié en 1990 et ancré dans l’Amérique reaganienne. Pynchon y faisait cohabiter le fantastique, les spectres du passé et une paranoïa diffuse ; Anderson, lui, épure le matériau, retire les éléments surnaturels pour en garder la sève politique et existentielle. Le film devient ainsi une chronique sans fard d’un pays qui ne cesse de rejouer ses fractures.
La vision acerbe des suprémacistes blancs est particulièrement marquante : leur mythe de pureté est montré pour ce qu’il est, une illusion morbide vouée à l’autodestruction. Mais le film insiste sur la nécessité de recommencer la lutte encore et encore, de transmettre les idéaux militants et de rester vigilant face au retour de ces idéologies. C’est le sens même du titre : une bataille après l’autre. C’est aussi un regard sur les rapports parfois troubles entre deux idéologies qui s’affrontent, une lutte de pouvoir illustrée ici par la domination sexuelle de l’un sur l’autre et vice-versa…
Le film interroge aussi la notion de parentalité. Le destin de la mère va t-il influencer celui de la fille ? Les liens génétiques sont-ils plus forts que les liens du cœur ? La chaleur des liens familiaux latinos peut-il résister à la violence d’une idéologie suprémaciste ? Paul Thomas Anderson nous offre son meilleur film (après Magnolia), dont les clefs de lecture sont multiples. Un film à voir au moins deux fois pour en saisir la totale dimension.
En conclusion, malgré une bande-son de Jonny Greenwood parfois un peu trop présente, le film est un chef-d’œuvre audacieux. Candidat solide aux Oscars, c’est un cinéma intelligent, intense et viscéral, qui fera réfléchir, mais nul doute qu’il divisera également…