Parfois les films ne sont pas ce qu'ils semblent être. Ou du moins, on peut être amené à les apprécier pour des raisons qui ne sont pas forcément évidentes. They Drive by Night est censé être un film policier ou un film noir, et pourtant il brille par sa dimension sociale. De même, dans cette histoire d'hommes, ce sont les femmes qui s'en sortent le mieux et tirent leur épingle du jeu.




They Drive by Night est un film un peu étrange, déroutant même... Son principal défaut étant sans doute sa tête d'affiche, George Raft, qui n'a ni les épaules ni le charisme pour porter le projet ! Il se fait d'ailleurs piquer la vedette par des seconds rôles bien plus entreprenants. Et puis il y a ce scénario, pourtant signé par l'excellent tandem Wald- Macaulay, qui est quand même sacrément bancal. Il faut tout le talent et le savoir-faire de Walsh pour rendre le tout suffisamment passionnant. Et là-dessus, il y réussit fort bien.




Simple film de commande à la base, They Drive by Night est une œuvre bicéphale, divisée en deux parties étrangement distinctes. Pour ne rien vous cacher, c'est la première partie qui m'a le plus enthousiasmé... Il faut dire que Walsh sait si prendre pour nous passionner à cette histoire de frangins qui veulent monter leur p'tite affaire de transport de marchandises. Il nous plonge dans un univers routier criant de réalisme, où l'intrigue dramatique sert avant tout à mettre en relief ces petites péripéties qui rythment le quotidien des camionneurs. Cette partie prend ainsi l'allure d'un documentaire où l'on perçoit les difficultés économiques de ceux qui veulent devenir indépendants, luttant comme ils peuvent face aux grosses sociétés. Walsh donne de l'ampleur à son sujet en ne négligeant aucun détail, passant en revue les principales difficultés du milieu : le rythme de vie, les horaires éreintants, les dangers de la route...




Walsh a le bon goût de rythmer sa chronique par de beaux moments de vie, en mettant l'accent sur les instants d'amitié ou de fraternité, pimentant le tout avec un peu de passion amoureuse. Tout cela est si bien amené, que l'on se prend vite de sympathie pour ces deux frères et on suit avec plaisir leur péripétie.



Seulement, après une trajectoire bien maîtrisée, l'histoire entreprend un virage à 90° et évite de peu la sortie de route. Le personnage d'Ida Lupino entre en scène ; splendide beauté vénéneuse, elle n'hésite pas à liquider son mari pour espérer attirer dans ses griffes ce bon Raft ; faisant ainsi basculer le film dans sa partie "noire". Incontestablement Lupino apporte un plus à l'histoire en incarnant avec brio la plus parfaite des femmes fatales. C'est avec aisance qu'elle nous fait percevoir toute la complexité de son personnage, à la fois femme désirant ardemment être aimée et créature de sang-froid prête à tout pour parvenir à ses fins. Un être de feu et de glace qui a de quoi fasciner. Seulement notre bonne dame est censée agir de la sorte par passion envers le héros, George Raft. Et là, on en revient au problème du casting... Car on imagine difficilement une telle créature s'éprendre de la sorte pour le terne George ! Il y a un petit problème de crédibilité dans tout ça ! Mais surtout, cette partie s'avère être moins bien maîtrisée que la première. Le passage à la folie du personnage de Lupino est beaucoup trop excessif pour être crédible, et la belle gâchant par cabotinage la bonne impression qu'elle nous avait faite jusqu'alors. D'une manière générale, la partie consacrée au procès se vautre un peu trop dans l'outrance à mon goût. Dommage car on garde à l'esprit cette mauvaise fausse note, alors que le reste est de qualité.



Pour nous consoler de cette fin, il ne nous reste plus qu'à nous remémorer la bonne prestation des acteurs, Lupino, Ann Sheridan dans un rôle qui aurait mérité d'être plus étoffé, et bien sûr Bogart qui interprète ici son dernier petit rôle avant de connaître le haut de l'affiche avec High Sierra du même Walsh. Et surtout on se dit que cette chronique sociale, amorcée en première partie, si elle avait été menée à termes, aurait fait un sacré bon film.

Procol Harum

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