Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.

On ne « regarde » pas Une femme sous influence. On le subit. On le vit. On s'installe dans le salon des Longhetti et, pendant deux heures et demie, on a l'impression d'être l'invité de trop, celui qui assiste, impuissant et gêné, à l'effondrement magnifique et terrifiant d'une âme.

​Oubliez la mise en scène millimétrée ou les dialogues écrits à la virgule près. Avec Cassavetes, on est dans la chair, dans le désordre, dans la vie qui hurle. C'est du cinéma sans filet de sécurité.

​Gena Rowlands ne joue pas Mabel. Elle est une plaie ouverte. C’est sans doute la performance la plus foudroyante de l'histoire du cinéma américain. Mabel n’est pas simplement « folle » ou dépressive, c'est une erreur de diagnostic. Mabel est trop. Elle aime trop, elle rit trop fort, elle danse trop bizarrement, elle cherche trop à plaire. Elle est d’une pureté insupportable pour un monde qui exige de la retenue.

​La voir essayer de « se tenir », d’être normale pour faire plaisir à Nick, c’est physiquement douloureux. On a envie de traverser l'écran pour la protéger, mais on ne sait pas de qui : d'elle-même, ou de cette société étriquée qui l'étouffe. Et puis il y a Peter Falk. Loin de Columbo, il est ici Nick, un ouvrier brut de décoffrage, terrifié par ce qui arrive à sa femme. Ce qui rend le film si déchirant, c’est qu’il n’y a pas de méchant. Nick aime Mabel à en mourir, mais il l'aime mal. Il l'aime avec ses gros sabots, avec ses cris, avec sa violence maladroite, pensant qu'on peut réparer une dépression nerveuse comme on répare une fuite d'eau : en gueulant un bon coup.

​Leur duo est un ballet chaotique. C'est du "je t'aime, moi non plus" version working-class, entre assiettes de spaghettis et bières tièdes.

​Pourquoi c'est immense ?

Parce que ça ne triche pas. La caméra de Cassavetes est collée aux visages, elle capture la sueur, les tics, les silences pesants et les éclats de rire nerveux. Il n'y a pas de musique pour vous dire quand pleurer. Le film vous laisse seul avec eux, coincé dans cette maison trop petite.

​C’est une œuvre qui vous laisse lessivé, épuisé, mais étrangement vivant. C’est un hymne aux inadaptés, à ceux qui sentent tout trop fort. Une femme sous influence, c’est la preuve qu’au cinéma, la perfection technique ne vaudra jamais une émotion brute, sale et vraie.

Brain-One
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 1974

Créée

le 2 déc. 2025

Critique lue 3 fois

Brain One

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur Une femme sous influence

Une femme sous influence

Une femme sous influence

le 26 févr. 2015

The lady in blue...

Pour tout dire et en guise d'introduction, il me faut préciser que ce film m'habite depuis quelques années et qu'il me fait beaucoup réfléchir sur la féminité, le couple et des tas d'autres choses à...

Une femme sous influence

Une femme sous influence

le 8 avr. 2013

Desperate housewife

De Cassavetes, je n'avais vu que Shadows et Faces, deux films qui, s'ils étaient notables pour leur vivacité et leur authenticité, m'avaient tout de même perdu en route par leur côté bordélique (en...

Une femme sous influence

Une femme sous influence

le 8 août 2014

La mort du cygne

Quelques femmes, dans l’univers, virevoltent au ralenti, les bras lourds tentent de faire s’envoler le corps par la grâce. Mabel est l’une d’elles. Personne ne veut danser - les costumes-cravates...

Du même critique

Les Feuilles mortes

Les Feuilles mortes

le 26 mai 2025

Critique de Les Feuilles mortes par Brain One

Il y a chez Aki Kaurismäki une fidélité rare : à ses personnages solitaires, à ses cadres fixes, à ses silences éloquents, à une certaine idée de la dignité. Les Feuilles mortes ne déroge pas à cette...

My Life in the Bush of Ghosts

My Life in the Bush of Ghosts

le 24 mai 2025

Critique de My Life in the Bush of Ghosts par Brain One

Il existe des œuvres qui n’ont pas l’élégance immédiate d’un chef-d’œuvre, mais qui vibrent, plus profondément, comme des secousses souterraines. My Life in the Bush of Ghosts, né en 1981 de la...

Stars of the Lid and Their Refinement of the Decline

Stars of the Lid and Their Refinement of the Decline

le 4 juin 2025

Critique de Stars of the Lid and Their Refinement of the Decline par Brain One

Il faut du temps pour entrer dans And Their Refinement of the Decline. Pas seulement parce que l’album dure deux heures, mais parce qu’il exige une chose que notre époque concède rarement : le...