Vu de notre beau pays, les Anglais sont un peuple curieux qui ne fait jamais rien comme tout le monde ; que ce soit en politique, dans la vie quotidienne et bien sûr en arts, les représentants de la perfide Albion se distinguent toujours du commun des mortels par un raisonnement et une fantaisie bien à eux. Demander leur de vous parler d'amour ou d'amitié dans un film, et ils vous remuent ciel et terre pour y arriver, toujours en laissant libre cours à leur imagination débordante. C'est un peu le cas ici, avec ce film qui aurait pu être une banale romance parmi tant d'autres, et qui devient une œuvre totalement fantaisiste, baladant le spectateur entre mélodrame et comédie fantastique, entre le monde réel et l'Au-delà !




Au lendemain de la guerre, Powell et Pressburger se voient contraints par l'armée britannique de réaliser un film pour améliorer l'entente entre leurs propres soldats et leurs homologues américains. Loin d'être découragé par l'ampleur de la tâche, ils vont mettre à profit cette commande pour transformer un banal chant d'amitié entre deux peuples en une romance, belle et sacrément originale, entre un soldat britannique, mort mais en sursis sur la Terre, et une jeune Américaine.




A matter of life and death est une œuvre brillante sur le plan de la mise en scène avec beaucoup d'idées concernant la représentation de l'Au-delà ou l'élaboration des personnages, mais l’ensemble est assez inégal, on papillonne entre les différents thèmes comme si l'histoire n'était pas complètement investie par les réalisateurs, sans parler de certaines facilités scénaristiques.




Peter est un aviateur britannique et juste avant de sauter de son avion sans parachute, il a le temps de tomber amoureux de June qui travaille à la tour de contrôle et dont il entend simplement la voix. Mais voilà, après sa chute Peter se retrouve miraculeusement en vie, "oublié" par les forces célestes, il se trouve en sursis sur la Terre. Heureusement son errance est de courte durée, il retrouve tout de suite June et leur passion peut enfin prendre vie. Tout cela est bien beau mais un peu facile, non ? L'histoire d'amour entre les deux héros semble vite conclue, le thème de l'amitié entre Américains et Britanniques est lui aussi expédié dans un procès qui arrive un peu comme un cheveu dans la soupe lors de la dernière partie. Notre tandem ne semble pas très intéressé à approfondir les différents sujets et cela se ressent durant tout le métrage : si le spectacle est beau, on n'est jamais enthousiasmé ou captivé par l'histoire. Bon, c'est un peu dommage mais fort heureusement Powell et Pressburger soignent la forme, et ça ils le font drôlement bien.



Ce qui frappe avant tout dans ce film, ce sont ces allers-retours incessants entre le monde terrestre et l'Au-delà permettant à Powell-Pressburger de laisser libre cours à leur imagination et à leur poésie pour chanter les louanges de notre monde, de notre vie. À leur manière, ils rejoignent Capra pour crier au monde entier que "la vie est belle" ! Ni plus, ni moins ! En 1946 la chose était sans doute salvatrice mais même pour le spectateur d'aujourd'hui, elle est toujours fort appréciable.



Il faut dire que notre cher duo nous propose un Au-delà qui est loin de la représentation paradisiaque que l'on en fait habituellement. Avec eux, l'autre monde ne fait pas rêver, tout est fait pour véhiculer chez le spectateur une impression d'austérité et de froideur. Cet univers se colore d'un noir et blanc peu réjouissant, les formes architecturales sont froides et lisses, les personnages qui le peuple sont parfaitement inexpressifs et l'existence semble organisée de manière presque militaire. Bref, voilà un paradis que l'on n'est pas pressé de rencontrer ! Alors qu'au contraire, le monde terrestre est représenté de manière bien plus chaleureuse, joyeuse, avec un technicolor qui rend parfaitement grâce aux différents paysages et qui fait même regretter à un envoyé céleste la grisaille de son univers.



Si parfois notre duo a eu tendance à abuser des jeux de couleurs pour habiller leurs films (Les chaussons Rouges, La Renarde), ici l'utilisation du technicolor semble utiliser judicieusement et avec parcimonie, les couleurs servent admirablement la passion comme lors de la très belle scène d'introduction où le coup de foudre retenti entre Peter et June ; ou alors servent à magnifier le quotidien lorsque l'on passe subitement de l'Au-delà à la vie terrestre. À côté de cela, la mise en scène est bourrée de belles trouvailles, on a ce superbe et impressionnant escalier "sans fin" qui mène dans l'autre monde ou ces personnages qui se figent sur place pour symboliser le temps suspendu par la volonté céleste.

Procol-Harum
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le 6 sept. 2023

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