Qu’est-ce qui est beau mais creux ? Une géode ? Non, le nouveau Jordan Peele.

Après séance (vu le 20/03/2019)


Pour beaucoup, Us confirme le talent de Jordan Peele, sa faculté à redéfinir le genre de l’horreur et sa place parmi la crème des jeunes réalisateurs… Décidément, il a surtout le don de générer une hype que je ne comprends pas.


En 2017, j’avais loupé Get Out au cinéma. Motivé par ses critiques dithyrambiques et sa victoire à l’Oscar du meilleur scénario original, au nez et à la barbe de La forme de l’eau et Three Billboards, je l’ai finalement rattrapé en 2018. Petite déception. Même si je lui reconnais quelques qualités, c’est globalement une réalisation dans la moyenne de ce que fait Blumhouse Productions. Et surtout, le film ne respecte pas sa promesse originelle, celle de faire peur…


A l’annonce de Us, je ne faisais donc pas partie des aficionados trépignant d’envie de découvrir « le nouveau cauchemar » de Jordan Peele. Malgré une bande annonce très alléchante (je dois l’avouer), le film s’est difficilement placer dans le Top 20 de mes attentes de l’année. Oui, oui, même derrière Velvet Buzzsaw… Bon ok, c’est un classement malheureux, mais le fait d’en attendre assez peu m’a permis d’être moins déçu. Parce qu’il y a vraiment de quoi être déçu…


La famille Wilson pensait se ressourcer durant leurs vacances à Santa Cruz. Mais le lieu fait ressurgir des vieux traumatismes d’enfance à Adélaïde (Lupita Nyong’o). Avec son mari Gabe (Winston Duke) et ses deux enfants Zora et Jason (Shalhadi Wright Joseph et Evan Alex), ils vont devoir survivre à une invasion de doubles maléfiques.



SUR LE FOND : 5,5 étoiles



La première chose sur laquelle je suis déçu, c’est le ton du film. Get Out est en premier lieu considéré par le public, non pas comme un film d’horreur, mais comme une œuvre politique. Et à juste titre selon moi, tant la dénonciation du racisme ambiant prenait le pas sur le caractère horrifique du film. A tel point que Jordan Peele a dû recadrer les choses, et je m’attendais qu’en réaction, il donne à Us une tension supplémentaire. Nope. A la manière d’un Marvel qui cherche à protéger son public puritain en glissant des blagues à chaque moment un peu dramatique (à l’exception d’Infinity War évidemment), Us ne laisse pas son spectateur avoir peur. L’humour est omniprésent. Alors c’est un humour efficace, frais, mais ça annihile toute tension, tout suspens. Il n’y avait qu’à voir les réactions dans la salle : aucun sursaut ou cri, par contre des rires toutes les dix minutes…


Et c’est vraiment dommage parce qu’à côté de ça, le film tente de créer une atmosphère malsaine, glauque. Beaucoup parlent déjà d’une « patte Jordan Pelle » etc., je ne sais pas si en seulement deux films, nous pouvons déjà définir une identité propre au réalisateur. Perso, à part des gentils personnages blacks, des méchants personnages blancs et une obsession pour les yeux globuleux dégoulinant de larmes, je n’ai pas vu grand-chose. Je ne parlerais donc pas forcément d’une « patte Jordan Peele » mais c’est clair qu’il propose une offre de « cinéma d’horreur » différente des étrons comme La Nonne ou Annabelle. Il s’agit de films d’ambiance, non pas fondés sur des jumpscares etc. (il y en a quelques-uns…) mais sur une atmosphère bizarre. Ce sont des situations très banales, de la vie quotidienne, avec un petit élément de surnaturel, de fantastique qui rend le tout très malaisant. Cette partie fondée sur la « vie réelle » est celle qui créé le plus de tension car elle nous rappelle notre propre quotidien, comme dans un bon roman de Stephen King.



Who are you people ?



We're Americans.



Dans Us, le malaise provient de l’identité de la menace : des doppelgangers, à la fois étrangers et le reflet de nous-même. C’est un levier assez classique au cinéma qu’on retrouve par exemple dans Metropolis, Enemy, Black Swan ou le film éponyme Doppelganger, et qui sert souvent à traiter la peur de l’autre, la définition de notre identité ou notre part de perversité à tous. Us ne fait pas exception, mais ce traitement est malheureusement bâclé en deux répliques dans un troisième acte précipité. Le film est en effet découpé en trois parties inégales : La première est la phase d’exposition allant des événements de 1986 à l’arrivé des reliés. C’est une phase assez lente, avec des longs plans, qui pose déjà le ton du film en casant de l’humour toutes les trois répliques. Ensuite, il y a une looonngue phase à cheval entre le survival et le home invasion movie. C’est long et chiant, et cela ne propose aucune évolution. Enfin, à 10-15 minutes de la fin, Us bascule dans une phase explicative qui cherche à tout concrétiser, tout rationaliser de façon expéditive. C’est LA grosse erreur du film, déjà parce que le film aurait gagné en intensité si les explications étaient distillées durant toute la looonngue deuxième phase. Mais surtout parce que tant que rien n’est expliqué, c’est un parti pris. On peut accepter les zones d’ombre, elles font partie de l’univers du film. Par contre, lorsqu’on tente d’expliquer un bout rationnellement, cela ne fait qu’exposer toutes les autres incohérences. Qui a créé les reliés ? Pour quelles raisons ? Comment ça s’est finit ? Comment les reliés sont-ils restés dans les tunnels pendant 30 ans sans être découverts ? Qui s’occupe de nourrir tous ces lapins ? Une réponse appelle dix autres questions… Le film veut vraiment trop nous expliquer certaines choses, comme le twist final.


En 1986, lorsque Adélaïde s’est perdue dans le palais des glaces, son double a pris sa place. C’est donc en réalité le doppelganger que nous suivions depuis le début du film, et celle que nous avions pris pour l’ennemi est la véritable Adélaïde.


Au-delà de manière de faire via un sursaut de vieux souvenirs qui resurgissent on ne sait pour quelles raisons, le twist est surtout prévisible et assez facile. Là encore, la volonté de Jordan Peele d’absolument tout expliciter gâche un peu son film. Us aurait été bien plus « cauchemardesque » avec une fin ouverte laissant un doute dans l’esprit du spectateur. Il aurait alors pu se faire sa propre opinion, et profiter d’un second visionnage intéressant. Le hors-film est tellement important : Rick Deckard est-il un répliquant ? La toupie s’arrête-t-elle de tourner ? Au final, la toupie est-elle vraiment si importante ? Toutes ces questions méritent de rester ouvertes, mais Us ne prend pas le risque de laisser le spectateur faire son avis. C’est dommage, cela aurait rendu les personnages d’Adélaïde et de Red encore plus flippants ! La performance de Lupita Nyong’o est déjà remarquable, et globalement tous les acteurs sont bons aussi bien pour interpréter leur personnage et leur doppelganger caricatural. Mais le film ne les aide pas à vraiment briller, et reste bien trop souvent dans la caricature justement. Est-ce de l’inexpérience, de la paresse ou une volonté assumée de Jordan Peele ? Je me suis également poser la question concernant la réalisation.



SUR LA FORME : 6,5 étoiles



Avec un budget allant du simple au quintuple (24 millions de dollars contre 4,5 pour Get Out), Jordan Peele nous serre la même recette qu’il y a deux ans. Un film qualifié « d’horreur » ayant surtout une portée politique. Us signifiant « nous » en anglais faisant évidemment référence aux personnages principaux et à la menace prenant la forme de doubles maléfiques, mais que nous pouvons également lire U.S (United States). Le film est donc également un regard que porte Jordan Peele sur les États-Unis, un regard pour le moins radical. Là où dans Get Out, cela faisait presque sens au vu du sujet que tous les personnages blancs soient des pourritures ou des psychopathes, c’est un petit peu plus gênant dans Us. Niveau représentation, nous avons un beauf, une alcoolique, des jumelles hautaines (Emma dans Friends au passage), et des tas de corps sans vie… Autant dire qu’il existe un fossé entre Us et BlacKkKlansman, autre film politique produit par Jordan Peele (mais réalisé par Spike Lee).



Ophelia, call the police.



Ok. Playing Fuck tha Police by N.W.A.



Ici, c’est bien Jordan Peele qui est derrière la caméra et même s’il n’a pas la frontalité et l’originalité d’un Spike Lee, la mise en scène est globalement bien maitrisée. Les plans sont beaux, proposent pas mal de détails et la photographie orange participe bien à l’inquiétante étrangeté dans laquelle baigne tout le film. Mais c’est quand même une réalisation assez lourde, surtout dans les scènes les plus horrifiques où cela frise parfois le grotesque. A mon avis, c’est complètement voulu par Jordan Peele venant de la comédie (notamment satirique) avec Key & Peele. Mais faut pas se plaindre si les gens ne prennent pas au sérieux tes films d’horreur mec ! Je parlais de caricature un peu plus haut, la réalisation de Us est remplie de choses qu’on a vu des centaines de fois au cinéma depuis 50 ans… L’ombre des ciseaux qui s’approche dans la lumière d’une fenêtre, le méchant qui suit tranquillement le gentil en train de ramper… Même visuellement, la combinaison des doppelgangers rappelle celle de Michael Myers dans Halloween, le gant à une seule main rappelle celui de Freddy Krueger… A ce point-là, ce n’est plus de l’hommage, c’est de la paresse ! Idem pour le personnage annonciateur de la catastrophe pris dans un premier temps pour un fou ou un marginal mais qui s’avère finalement être dans le vrai. Dans Us, c’est Jeremiah 11.11 (Alan Frazier) qui plante ce personnage mystérieux. Pourquoi recherche-t-il son relié en 1986 ? Comment est-il au courant ? Pourquoi 11.11 ? Simplement pour le palindrome ou est-ce une référence à l’Ancien Testament ?



Je vais faire venir sur eux des malheurs dont ils ne pourront se délivrer. Ils crieront vers moi, et je ne les écouterai pas.



Livre de Jeremiah – Chapitre 11 Verset 11



De la beauté, de l’efficacité, mais pas de la grande finesse donc. Et le rythme lent du film nous laisse le loisir de repérer tous ces clichés. J’ai déjà insisté dessus dans la partie FOND mais les 90 minutes centrales de Us sont chiantes, vraiment. C’est du survival mou sans grands moments de tension, une heure et demie de vide pour atteindre le court climax dans les tunnels de Santa Cruz. Et là, tout s’accélère. Sur le fond déjà avec le gavage d’explications et de contextualisation, mais au niveau du rythme également. On passe en une coupe d’un récit linéaire plan-plan à un montage de trois temporalités superposées pour la confrontation finale… Et ok, là c’est cool, là c’est sympa. Même si la fin de la séquence est bâclée :


Après avoir esquivé les attaques d’Adélaïde pendant 10 minutes en dansant le Lac des cygnes, Red se fait ridiculement empaler comme ça, parce qu’il fallait en finir…


Mais restons positif, la séquence est prenante notamment grâce à une très bonne BO. Celle de Get Out avait été encensée, mais elle ne m’avait pas marquée. Dans Us, clairement, cela fait partie des éléments les plus réussis du film. Cela fait 10 jours que je l’ai vu, et je me surprends à encore chantonner I got 5 of it de Luniz. Dans le climax, la musique est réorchestrée par Michael Abels et c’est super efficace ! On a l’impression que cet air a été écrit depuis le début pour être thème d’horreur. Globalement, le sound design est très bon, le thème principal (Anthem) est également super efficace. La composition discordante de chœurs humains et de cordes permet tout de suite de rentrer dans l’ambiance malaisante du film. Dommage que cela ne soit qu’une belle façade, et que le film soit aussi creux en réalité. A l’image de la célestite utilisée par Jason (Evan Alex).


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 6 étoiles


Spockyface
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le 30 mars 2019

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