« Ainsi parle l’Éternel : Voici, je vais faire venir sur eux un malheur, dont ils ne pourront sortir. Et ils crieront vers moi, mais je ne les écouterai pas. » Jérémie 11:11
C’est par cette menace biblique que Us annonce la couleur, ou plutôt l’ombre, car dans le film de Jordan Peele, tout est affaire de reflets et de doublures.
Au départ, on croit regarder un home invasion horrifique : une famille est attaquée par ses propres sosies. Mais rapidement, la menace prend l’allure d’une vendetta sociale, dissimulée dans les moindres indices. Retour en arrière : les miroirs, la petite araignée vivante cachée derrière la grosse sculpture d’araignée, les lapins, et même le frisbee qui tombe exactement sur le cercle imprimé d’une serviette de plage…
Les « Tethered », ou les liés, ces doppelgängers venus des entrailles de l’Amérique, ne sortent pas juste pour tuer : ils viennent réclamer leur place dans l’histoire. Parqués dans l’ombre, des âmes vides qui imitent sans comprendre, piégées dans une boucle sans langage, privées d’humanité. Ils sont les oubliés du rêve américain, les témoins muets d’un système qui sacrifie les uns pour que d’autres brillent. Une métaphore des classes invisibles, des ghettos de la mémoire collective.
Les lapins en cage, omniprésents, nous le suggèrent : s’ils évoquent d’abord Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, où Alice bascule après avoir suivi un lapin blanc ou traversé un miroir, ils incarnent aussi l’expérimentation, la prolifération cachée, l’illusion d’un bonheur domestiqué. On pense qu’Adélaïde tombe dans le terrier au contact de son double, mais c’est peut-être surtout lorsqu’elle revient sur les lieux que débute sa traversée cauchemardesque. Pourquoi ? On ne le dit pas, pour ne pas spoiler…
Et quand cela bascule, un milliard de petits indices sèment des fragments de réponses. Mais enfin, pourquoi ? Pourquoi les ciseaux comme arme ? Pour couper le cordon ombilical avec l’original ? Une arme double, symétrique, comme eux ?
Et ce titre : Us. C’est nous ? Ou U.S. (United States) ? Le sous-texte politique est évident :
Une société fondée sur les massacres de masse, l’esclavage, l’exclusion, la ségrégation, l’exploitation. Le rêve américain n’est pas pour tout le monde : il n’existe que pour ceux qui vivent à la surface, dans la lumière, ou aux étages supérieurs.
C’est la lutte des classes : un pouvoir social dans la verticalité, comme dans Altered Carbon (Richard K. Morgan), Blade Runner (Philip K. Dick), Gunnm (Yukito Kishiro), I.G.H. (J.G. Ballard) ou Elysium (Neill Blomkamp).
La chaîne humaine finale devient alors une parodie patriotique : main dans la main, oui… mais dans le sang et la vengeance. Un geste humanitaire vidé de sa substance quand on sait ce qui se cache réellement derrière ces beaux messages de solidarité hypocrite.
Et peut-être que Us, c’est aussi le public. Nous. Ceux qui regardons et qui sommes mis en procès.
Du moins, je me sentirais visée si j’avais réussi socialement…
Et d’ailleurs, je me pose cette question :
Moi qui n’ai pas réussi, demandeuse d’emploi ou emploi précaire, non propriétaire, marquée par la souffrance et l’injustice, suis-je le double maléfique de quelqu’un qui a réussi ?
Suis-je l’ombre d’une ascension sociale qui n’aurait pas existé si je n’avais pas échoué ?
Et pour briller un jour, devrais-je sortir de ma cave… pour la tuer ?