Us
6.3
Us

Film de Jordan Peele (2019)

« Ainsi parle l’Éternel : Voici, je vais faire venir sur eux un malheur, dont ils ne pourront sortir. Et ils crieront vers moi, mais je ne les écouterai pas. » Jérémie 11:11


C’est par cette menace biblique que Us annonce la couleur, ou plutôt l’ombre, car dans le film de Jordan Peele, tout est affaire de reflets et de doublures.


Au départ, on croit regarder un home invasion horrifique : une famille est attaquée par ses propres sosies. Mais rapidement, la menace prend l’allure d’une vendetta sociale, dissimulée dans les moindres indices. Retour en arrière : les miroirs, la petite araignée vivante cachée derrière la grosse sculpture d’araignée, les lapins, et même le frisbee qui tombe exactement sur le cercle imprimé d’une serviette de plage…


Les « Tethered », ou les liés, ces doppelgängers venus des entrailles de l’Amérique, ne sortent pas juste pour tuer : ils viennent réclamer leur place dans l’histoire. Parqués dans l’ombre, des âmes vides qui imitent sans comprendre, piégées dans une boucle sans langage, privées d’humanité. Ils sont les oubliés du rêve américain, les témoins muets d’un système qui sacrifie les uns pour que d’autres brillent. Une métaphore des classes invisibles, des ghettos de la mémoire collective.


Les lapins en cage, omniprésents, nous le suggèrent : s’ils évoquent d’abord Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, où Alice bascule après avoir suivi un lapin blanc ou traversé un miroir, ils incarnent aussi l’expérimentation, la prolifération cachée, l’illusion d’un bonheur domestiqué. On pense qu’Adélaïde tombe dans le terrier au contact de son double, mais c’est peut-être surtout lorsqu’elle revient sur les lieux que débute sa traversée cauchemardesque. Pourquoi ? On ne le dit pas, pour ne pas spoiler…


Et quand cela bascule, un milliard de petits indices sèment des fragments de réponses. Mais enfin, pourquoi ? Pourquoi les ciseaux comme arme ? Pour couper le cordon ombilical avec l’original ? Une arme double, symétrique, comme eux ?


Et ce titre : Us. C’est nous ? Ou U.S. (United States) ? Le sous-texte politique est évident :

Une société fondée sur les massacres de masse, l’esclavage, l’exclusion, la ségrégation, l’exploitation. Le rêve américain n’est pas pour tout le monde : il n’existe que pour ceux qui vivent à la surface, dans la lumière, ou aux étages supérieurs.


C’est la lutte des classes : un pouvoir social dans la verticalité, comme dans Altered Carbon (Richard K. Morgan), Blade Runner (Philip K. Dick), Gunnm (Yukito Kishiro), I.G.H. (J.G. Ballard) ou Elysium (Neill Blomkamp).


La chaîne humaine finale devient alors une parodie patriotique : main dans la main, oui… mais dans le sang et la vengeance. Un geste humanitaire vidé de sa substance quand on sait ce qui se cache réellement derrière ces beaux messages de solidarité hypocrite.


Et peut-être que Us, c’est aussi le public. Nous. Ceux qui regardons et qui sommes mis en procès.

Du moins, je me sentirais visée si j’avais réussi socialement…


Et d’ailleurs, je me pose cette question :

Moi qui n’ai pas réussi, demandeuse d’emploi ou emploi précaire, non propriétaire, marquée par la souffrance et l’injustice, suis-je le double maléfique de quelqu’un qui a réussi ?

Suis-je l’ombre d’une ascension sociale qui n’aurait pas existé si je n’avais pas échoué ?

Et pour briller un jour, devrais-je sortir de ma cave… pour la tuer ?



gabylarvaire
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma cinémathèque Horrifique et Les meilleurs films de 2010

Créée

le 17 oct. 2025

Critique lue 3 fois

1 j'aime

gabylarvaire

Écrit par

Critique lue 3 fois

1

D'autres avis sur Us

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

108 j'aime

33

Us
JimBo_Lebowski
4

"Qu'est ce qu'il ferait ce con de Shyamalan ?"

Je reste plus que perplexe, l'impression d'un bel enfumage, Jordan Peele m'avait pourtant fait plutôt bonne impression avec Get Out où, malgré une troisième et dernière partie délaissant ses...

le 26 mars 2019

99 j'aime

4

Us
Sullyv4ռ
9

"Oooh des jumelles ! Alors c'est laquelle qu'est méchante ?"

En allant voir Us je ne savais pas trop à quoi m'attendre, je n'avais vu qu'une fois la bande annonce qui ne dévoile pas grand chose et j'avais décidé qu'il en serait ainsi. Je voulais rester dans le...

le 21 mars 2019

85 j'aime

29

Du même critique

La Contre-Nature des choses
gabylarvaire
9

Capitalisme charognard

Le titre original The N'Body Problem fait référence à une question scientifique : peut-on calculer avec précision la trajectoire de plusieurs corps qui interagissent entre eux, comme des planètes ou...

le 18 oct. 2025

2 j'aime

Taxi de Nuit
gabylarvaire
9

Critique de Taxi de Nuit par gabylarvaire

Eddie, chauffeur de taxi de nuit, est un témoin silencieux de la vie nocturne de Chicago. Il accepte presque tous les trajets, mais il reste sur ses gardes, évitant de s'arrêter là où le danger...

le 18 oct. 2025

1 j'aime

Mordre
gabylarvaire
10

Qui est le monstre dans ce roman?

Il était une fois, des missionnaires qui allèrent dans certains pays, pour apporter la bonne parole de Dieu. Ils prirent les Terres, les richesses, et même les personnes, et en échange ils leur...

le 24 août 2024

1 j'aime