C'est un euphémisme que de dire que j'attendais le nouveau film de Joachim Trier. J'avais déjà été largement convaincu par son très bon Oslo, 31 août, et complètement emporté par le brillantissime Julie (en 12 chapitres).
Ici, le cinéaste norvégien raconte l'histoire d'une famille dysfonctionnelle, avec deux sœurs qui ont vécu dans l'ombre d'un père absent. Père qui est également un réalisateur de films reconnu, et qui va proposer à sa fille (comédienne de théâtre), de jouer le rôle principal de son dernier long-métrage. Un film tourné dans leur propre maison, mettant en scène leur propre vie. Ou plutôt, leur vie fantasmée.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Trier s'empare à merveille de ce dispositif de film dans le film. Quelle idée géniale que de contenir tous les non-dits d'un père à sa fille, par égo ou par lâcheté, au sein d'un long scénario, qu'il juge lui-même comme le meilleur de sa carrière. Dévoilant ainsi peu à peu un amour indicible, presque maudit. Mais offrant également des scènes de reconstitution à la double temporalité brillante, comme unique solution pour recréer des liens et souvenirs manqués.
Le film (le vrai) s'ouvre par ailleurs sur une splendide introduction scénarisée, presque mise en scène. Personnifiant littéralement la maison familiale, et lui donnant corps et parole, à travers une voix-off mélangeant temps passé et présent (ce qui n'est pas sans rappeler un certain Here, de Robert Zemeckis).
En découle alors bon nombre de thématiques passionnantes, allant du deuil impossible du père absent, aux séquelles mentales irréversibles induites par une telle enfance, en passant par le rapport à la vieillesse et au temps qui passe. Le métier de comédienne de théâtre du personnage principal est d'ailleurs parfaitement exploité, confrontant ses troubles dépressifs et suicidaires à sa recherche permanente de rôles, comme ultime issue dans la fuite de ses propres démons.
De même, l'inclusion de la cinéphilie à l'œuvre est d'une intelligence rare, abordant avec une justesse totale des thématiques très actuelles, comme le rapport des réalisateurs aux productions Netflix, ou encore à la salle de cinéma. En plus d'offrir certaines scènes sacrément drôles (les cadeaux d'anniversaire, quand même).
L'écriture est exemplaire, ponctuant des dialogues merveilleux et jamais sur écrits, en plus de personnages jamais manichéens. J'ai tout particulièrement apprécié le questionnement de la vision d'artiste, et du mélange complexe entre art et intimité. Une contradiction magnifiquement incarnée par le personnage du père, à la fois réalisateur adulé, faisant office de véritable modèle pour certains, et père égoïste/narcissique, détruisant inexorablement les gens qui l'entourent.
Obligé alors d'aborder les interprétations, et cette troupe de comédiens extraordinaire. On retiendra bien sûr tout particulièrement la formidable (et habituelle) Renate Reinsve, complètement habitée par ce mélange de haine et d'amour impossible. Une performance d'autant plus saisissante qu'elle ne se retranscrit pratiquement que par le regard, de par le mutisme récurrent du personnage. Pour autant, il me paraît impossible de ne pas mentionner le reste du casting, et notamment Stellan Skarsgård, absolument magnétique dans le rôle du père, malgré la partition très complexe à jouer.
Enfin, Trier oblige, le long-métrage est porté par une réalisation fondamentalement sobre, et pourtant toujours éblouissante. Chaque plan est composé avec une minutie dingue, et la photo est d'une beauté renversante. Mention toute spéciale à ces levers/couchers de soleil violacés, grand souvenir de son précédent long-métrage.
Tout ceci m'amène à la conclusion suivante : Valeur Sentimentale est théoriquement un film parfait. Dans sa forme, comme dans son fond. Et pourtant...
...il n'a jamais vraiment réussi à me toucher. L'impression d'avoir regardé pendant 2h15 un tableau splendide, magistral et irréprochable, mais qui n'est jamais entré en résonance avec moi. Pourquoi ? Sans doute car l'œuvre est avant tout une expérience extrêmement subjective, et profondément liée à notre vécu personnel.
Malheureusement (ou heureusement d'ailleurs), il m'a été absolument impossible de m'identifier, ou de trouver une quelconque accroche émotionnelle et personnelle au récit. Et dans le fond, c'est extrêmement frustrant. Adorer du plus profond de son être une proposition artistique, sans jamais qu'elle réussisse à nous emporter, ou ne serait-ce que nous émouvoir...
Ainsi, la narration et le ton global ont presque fini par m'ennuyer. Hermétique aux émotions et ancrages sensoriels convoqués, l'ensemble m'a paru un peu empesé à terme, voire pathos. En témoigne cette scène de lecture, où l'une des filles va découvrir les tortures subies par leur grand-mère, d'une manière assez voyeuriste et franchement superflue. Même remarque pour cette séquence finale, bien trop prévisible et convenu à mes yeux.
Pour autant, force est de constater la faculté du film à me rester en tête. L'œuvre agit comme une bombe à retardement émotionnelle, parvenant à déployer progressivement sa mélancolie dans mon esprit au fil des jours suivant mon visionnage. Même si, il faut bien le dire, tout cela reste bien léger par rapport à la déflagration espérée...
Mais bon, voilà tout le charme du cinéma. Des expériences qui résonnent différemment selon notre prisme personnel, et qui tantôt nous emportent, tantôt nous laissent sur le bord de la route. Je garderai malgré tout en mémoire un long-métrage fabuleux, qui ne m'inspire rien d'autre que de l'amour. Et qui sait, peut-être qu'un revisionnage aidera les choses...
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