Après l’aérien Oslo, 31 Août et le subtil et justement acclamé Julie (en douze chapitres), Joachim Trier raconte une nouvelle chronique norvégienne dans une partition sans fausse note qui allie force et élégance.
Sur la forme d’abord, le réalisateur scandinave fait preuve d’un raffinement et d’une précision toujours aussi épatant. Des plans qui alternent entre poésie éthérée et froid réalisme, des tableaux superbes (il y avait le vélo d’Oslo, il y a désormais le cheval de Deauville), un art pour exploiter au mieux le potentiel des lieux dans lesquels ils tournent (une maison qui s’avère être un personnage en soi, un théâtre, une plage…), sa mise en scène est d’une remarquable fluidité, embarquant naturellement le spectateur dans son récit. C’est aussi du a un sens du montage pointu, qui ne laisse rien de superflu à l’écran. Il est aussi très habile dans sa manière de raconter la famille Borg et suggérer le poids du passé dans les comportements et les interactions actuels. Plus que des flash-backs, ces souvenirs prennent la forme de mini films remontant le temps avec grâce. A noter aussi un choix emballant de musiques pour la bande son qui rythme et donne de la personnalité à sa réalisation.
Sur le fond, Trier ciselle un drame familial charriant une violence sourde, filme une relation père / fille construite sur les non-dits, le manque et les incompréhensions. Avec l’art comme exhausteur de ressentiment, à la fois excuse pour déserter un rôle de père (on ne peut créer qu’en étant libre) mais aussi, avec le temps qui passe et la maturité, onguent qui peut soigner et rapprocher. Les dialogues, d’une douloureuse véracité, traduisent cette incapacité à communiquer que chacun a intégré depuis longtemps, que ce soit dans la relation entre le père et la fille ainé, mais aussi dans ce qui lie les deux sœurs.
Ce sont des personnages forts, complexes, cruels parfois, le strict opposé de caricatures. Agaçants, touchants, tout simplement humains. Cela vaut pour les membres de la famille mais aussi ceux qui gravitent autour…
Pour traduire ces sentiments complexes avec autant de naturel et de simplicité, Tier peut compter sur ses comédiens fétiches, Renate Reinsve actrice désormais de premier plan depuis Julie (en 12 chapitres) et Anders Danielsen Lie, touchant dans le rôle de l’amant-béquille. Mais Tier ajoute un peu d’Hollywood à sa distribution maison avec le grand Stellan Skarsgård en patriarche fuyant et Elle Fanning dans un rôle de starlette américaine plus subtil qu’il n’y parait. Ils se fondent parfaitement dans l’univers du réalisateur.
Le dernier plan, les ultimes regards illustrent l’intensité qui parcoure le film de Joachim Tier.
Comme pour chacune de ses réalisations, Valeur Sentimentale l’a encore fait grandir. Son style déjà identifiable s’affirme et gagne en maturité. Il est désormais un cinéaste qui compte sur l’échiquier du cinéma indépendant. Et sans doute pour longtemps.