A plus d’un an de sa sortie, Valley of Love, le dernier film de Guillaume Nicloux darde encore ses rayons avec des airs de séducteur. Le film surprise de la sélection officielle de Cannes 2015 attire encore du monde avec ses deux monstres sacrés que sont Huppert et Depardieu, deux acteurs qui ont perdu leurs prénoms au générique, pour les avoir prêtés à Guillaume Nicloux dans ce film inclassable mais très émouvant.


Convoqués par lettre et de manière posthume par leur fils Michael (ou Michaël, selon l’inspiration du jour, l’un vivant aux Etats-Unis, l’autre à Paris), deux ex-époux, Isabelle et Gérard, tous deux acteurs, sont invités à visiter sept des points de vue notables de la vallée de la Mort selon un planning précis, pour un rendez-vous qui leur permettrait, disent les lettres, de voir ou apercevoir leur fils mort, suicidé.
L’argument est hénaurme, et il l’est tellement que finalement, l’attention se fixe sur les choses de plus petite dimension qui traversent le film. Car il est fait de petits riens, ce film, mais de petits riens signifiants, des retrouvailles entre Isabelle et Gérard, 35 ans après leur dernière rencontre , toute ressemblance avec la réalité et le tournage commun du Loulou de Maurice Pialat n’étant absolument pas fortuite.


Très proche de l’Enlèvement de Michel Houellebecque dans le principe, avec une absence de démarcation entre les acteurs et le personnages (Guillaume Nicloux parle davantage de personnes que d’acteurs), Valley of love a surtout à raconter Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Plus particulièrement, le film réhabilite ce dernier dans son statut d’immense acteur, une dimension de lui qu’on a eu tendance à oublier après de frasques diverses et variées qui l’ont éloigné du cinéma.


Le film commence par un long travelling où on suit Isabelle de dos jusqu’à son bâtiment, dans le motel qui va les accueillir, elle et Gérard son ex-mari. Isabelle est frêle, mais c’est après l’arrivée de Gérard, gargantuesque, que l’on s’aperçoit vraiment à quel point elle est frêle...En montrant les corps, celui de Gérard notamment, et en travaillant les sentiments de douleur et de sidération, mais également de bienveillance réciproque entre ses protagonistes, Guillaume Nicloux réussit à faire que le spectateur pose un regard empathique, humain sur lui, sur eux, et non le regard gêné sur cette obésité sur lequel en temps normal il évite de s’apesantir. Car le film est éminemment tourné vers les corps et aussi l’absence des corps, l’absence de celui de Michael qu’ils espèrent vaguement retrouver ici, dans la Vallée de la Mort. Ici, les corps parlent, ruissellent sous le soleil de Death Valley, souffrent, vivent.


Il est frappant de voir la très grande douceur de Gérard, une délicatesse que fatalement on ne peut s’empêcher de rapprocher à la souffrance de l’acteur lui-même dans la mort de Guillaume, son propre fils. Rarement a-t-on vu l’acteur dans un tel rôle, comme marchant sur des œufs malgré son quintal, fragile, mais protecteur, désespéré par l’absence de Michael, mais nourri d’un espoir différent, celui de retrouver une femme qu’il semble toujours aimer.
Quant à Isabelle Huppert, qu’on aura décidemment admirée dans toutes sortes de rôles, elle est magnifique d’abandon, elle qui d’habitude est plus ou moins corsetée dans des rôles de femme forte , très forte, voire trop forte dans certains films ; là voilà une toute petite chose effondrée, perdue face à l’indicible, l’insupportable. Ses larmes en lisant la lettre adressée à Gérard, ses fréquents coups d’œil à Gérard comme pour demander son soutien, sa peur du noir et de la solitude lorsqu’à un moment du récit elle s’est crue agressée dans la nuit, tout cela la rend immensément humaine et émouvante, et tout d’un coup, on se dit : « voilà, la vraie Isabelle Huppert est là, Guillaume Nicloux a réussi cette gageure de nous mettre en contact avec la personne d’Isabelle Huppert ».


On aura compris que le scénario importe peu ici, le film est assez expérimental, comme presque tout ce que le cinéaste fait d’ailleurs. Plus sombre que L’enlèvement de Michel Houellebecque, plus facilement lisible aussi, mais comment se mesurer à la folie douce de Michel Houellebecque, Valley of love est une excellente surprise, une vraie œuvre d’art dans ce qu’il a de créatif et d’émouvant, et Guillaume Nicloux jette en pâture de l’ésotérisme et du fantastique sans que cela ne nuise à la crédibilité de son film : le spectateur ressent la manière dont les deux personnages acceptent les stigmates surnaturels comme une forme inhabituelle d’amour et d’espoir, tant le film est baigné d’humanité….

Bea_Dls
8
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le 28 juin 2016

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Bea Dls

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