Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.

Vers la joie peut être vu comme le premier film d'inspiration autobiographique de Bergman, mais point de narcissisme : l'autobiographie, chez lui, est une image sans complaisance que doit renvoyer le cinéma. En effet, ce dernier tire de sa propre vie les échecs de son premier mariage, dans lequel il ne trouvait pas le compromis entre son exigence artistique et sa vie privée. Son second mariage fut également raté à cause de ses infidélités. C'est le cas de son protagoniste, Stig, un musicien violoniste, qui, à force de se donner corps et âme pour être soliste dans son orchestre, en oublie de préserver son cocon familial. Seulement, la mort tragique de sa femme lui rappelle ses nombreux regrets, que l'auteur présente dans un long flashback. Vers la joie est un mélodrame chargé de passion et de violence, ainsi qu'une peinture cinglante du mariage.

Le film veut à la fois montrer l’aveuglement de se précipiter par le désir et le doute s'instaurant avant même le mariage. Avec ses deux protagonistes, l'auteur démontre sa précision, sa concision et la densité de ses dialogues, mais aussi sa composition minutieuse de plans élaborés où les visages et les corps se partagent, fragmentent et découpent le cadre. Il crée déjà cette sensation d'intensité, d'harmonie et de partage entre un homme et une femme ; cependant, elle n'est qu'une illusion. Peu à peu, le récit s'affaire à instaurer une noirceur et une franchise dans ce mariage se délitant. Bergman filme avec la plus grande honnêteté la malhonnêteté des sentiments et des ressentiments. Le dégoût physique, la cruauté, la raillerie, la mesquinerie, la violence verbale puis corporelle se mettent en place dans des scènes de ménage dont le cinéaste a le secret. Ainsi, le jour qui rapprochait le duo dans un horizon ouvert se transforme en une nuit qui les éloigne et les ferme. Ils se sont aveuglés dans leur illusion, puis ils sont devenus aveugles. Stig devient frustré et médiocre, mythomane et égoïste, infidèle et mégalomane. Tandis que Marta est plus positive, puisqu’elle est bien plus digne, sage, compréhensive et merveilleusement fidèle. Le réalisateur est implacable avec le personnage masculin, en dévoilant tout son narcissisme dévorant. Pourtant, son tiraillement et ses remords font que le couple se retrouve avant le décès de Marta.

Évidemment, la musique a une place prépondérante. Elle sert d'interlude, de transition, de ponctuation et de reflet de l'évolution de la relation. Le cinéaste prend le temps de filmer la musique dans des scènes de répétition, avec de nombreuses variations d'échelles. Il déploie un regard attentif et admiratif à celle-ci, car la musique est une lumière face à l'incompréhensible désespoir de la vie. Elle peut balayer les ténèbres et servir de présence divine consolatrice. À noter que ce n'est pas anodin : Victor Sjöström interprète le chef d'orchestre paternel du couple, le dieu du cinéma suédois. Stig se défait de ses péchés grâce à celle-ci, mais surtout, il y trouve son salut final. Il s'élève dans une grande élévation spirituelle, particulièrement dans la séquence finale où est joué l’Hymne à la joie de Beethoven. Chez l'auteur, la famille prive l'homme de sa liberté individuelle, parce qu'elle est un mélange de choix et de hasard de la nature. C'est pourquoi Stig trouve sa sérénité dans la musique, face aux yeux de son fils dans un dernier plan, à qui il ne transmet pas sa vocation de père et de mari idéal, mais sa vocation de son amour pour l'art.

SimBoth
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste BERGMAN Ingmar - Critiques & Annotations

Créée

le 28 oct. 2025

Critique lue 5 fois

SimBoth

Écrit par

Critique lue 5 fois

D'autres avis sur Vers la joie

Vers la joie

Vers la joie

le 8 oct. 2021

La musique apaise-t-elle vraiment les moeurs ?

Dans la filmographie de Bergman, il me semble que Vers la joie est une étape jalon importante. Il préfigure en effet : sa propre vie de couple. Il se remariera d'ailleurs sitôt le film achevé ; On...

Vers la joie

Vers la joie

le 22 oct. 2018

Le destin malicieux d'un ambitieux

Dans ce film du début de la carrière du réalisateur (1950), la musique devient un sujet à part entière, son titre rappelle "L'Ode à la Joie" et la "Neuvième Symphonie" de Beethoven. Le chef...

Vers la joie

Vers la joie

le 25 janv. 2023

La valeur d'un homme

Le film raconte deux musiciens de l’orchestre symphonique de Helsingborg se rencontrent, s'aiment, et se déchirent, surtout à cause du comportement du mari, lequel laisse souvent parler sa vanité.Le...

Du même critique

Les Muppets : Ça c'est du cinéma !

Les Muppets : Ça c'est du cinéma !

le 28 juil. 2025

Critique de Les Muppets : Ça c'est du cinéma ! par SimBoth

Les Muppets : Ça c'est du cinéma est le premier long-métrage consacré aux drôles de marionnettes inventées par Jim Henson. Phénomène de télévision, le passage au cinéma se fait d'une façon encore...

Robinson Crusoé

Robinson Crusoé

le 31 juil. 2025

Critique de Robinson Crusoé par SimBoth

Robinson Crusoé est un livre fondateur du roman moderne, car il fait fi du classicisme de la littérature pour aborder avec liberté une forme d'expérimentation permanente dans laquelle l'expérience du...

Que la fête commence...

Que la fête commence...

le 11 juil. 2025

Critique de Que la fête commence... par SimBoth

Le film prend comme contexte l'époque de la Régence, en 1719, dans laquelle Philippe d'Orléans assure cette régence jusqu'à la majorité de son petit-cousin, et symboliquement son neveu, Louis XV. Au...