Continuant son introspection sur la perte et la disparition, Naomi Kawase nous délecte toujours de son style si vaporeux avec Vers la lumière mais s’enlise dans un récit didactique et empreint de fausses pistes.


Avec Vers la lumière, Naomi Kawase parle de cinéma, de l’interprétation que nous portons aux images, de l’importance des mots que l’on utilise pour analyser une œuvre. Avec son habituelle sobriété, elle caressera son sujet mais n’éraflera jamais l’abîme même de ses personnages : la rencontre entre une audiodescriptrice de films ayant perdu son père et un photographe devenant bientôt aveugle est le fil rouge de son histoire. Certes, la bienveillance de la cinéaste pour ses protagonistes est une bouffée d’air frais pour son film, et permet à ce dernier d’engranger une respiration opportune et humaniste mais malheureusement, la réalisatrice se perd dans l’agencement de ce récit sur la cécité et le poids des images, là où les personnages ne seront que des vecteurs à thématique.


Le problème est qu’on ne ressent pas cette douleur, cette perte d’un univers, la réalisatrice ne catalyse pas toute la puissance sensorielle de son récit. On ne voit pas ou peu le vertige occasionné par l’éveil d’un nouveau monde, d’une compréhension différente de l’environnement. Naomi Kawase fait dire à certains de ses personnages que les mots peuvent parfois être trop « intrusifs » vis-à-vis de l’émancipation de l’imaginaire même de chacun. Ces sessions de travail entre Misako et des non-voyants sont le point fort du film : un espace de dialogue qui laisse place à une émotion certaine. Le travail d’un ou d’une audiodescriptrice n’est pas de détailler un film mais de faire ressentir un espace, d’amplifier la souplesse de l’imaginaire pour amener l’émotion.


Pourtant, Naomi Kawase fait réfléchir Misako sur cette nuance-là, mais en oublie de se questionner elle-même sur son cinéma. C’est le point faible d’un film qui manque de légèreté malgré son immense douceur, un cinéma qui ne trouve pas son équilibre entre les envolées esthétiques contemplatives et une récitation plus traditionnelle du script. Si l’on associe le film dans le film et qu’on superpose le travail de Kawase à celui de Misako, la cinéaste fait les erreurs qu’il ne faut pas faire et se contredit assez injustement. Car au lieu de laisser au spectateur la possibilité d’imaginer cette histoire d’amour, de s’émouvoir dans les contours contemplatifs de sa mise en scène, Naomi Kawase s’empêtre à vouloir tout expliquer, à déployer son intrigue par l’instance possessive des mots, à cartographier sa dialectique par un symbolisme pompeux.


Parfois, trop schématique, Vers la lumière se voit parfois sublimé par sa magnifique bande sonore qui suit et harmonise les méandres de Misako et Nakamori. Du coup, Vers la lumière devient un petit objet cinématographique didactique, qui ne surprend jamais son auditoire dans les belles ruelles japonaises et qui rend inaudible une connexion amoureuse invisible et froide. C’est d’autant plus dommage que le film ne manque pas de qualités : une réalisation soignée avec une lumière sublimée et un jeu sur le flou pertinent, un casting en parfaite osmose, une délicatesse et un naturalisme de tous les instants. La preuve en est, le personnage le plus émouvant de Vers la lumière est celui qu’on entend le moins, qui touche par sa simple présence fragmentaire : celui de la mère de Misako, venant de perdre son défunt mari. Personnage loin de la ville et proche de la nature.


Cette nature gardienne protectrice, lieu mystique et fantomatique où se cache la renaissance. Vers la lumière n’a malheureusement pas cette magie, ces moments de suspension que peuvent avoir certaines de ses œuvres précédentes comme La Forêt Mogari ou Still the Water. La réalisatrice ne fait pas assez confiance aux pulsations, au cœur cotonneux de son ouvrage pour le laisser divaguer à sa guise. Les vibrations deviennent une démonstration, perdant l’ambiguïté et la peur sensorielle du spectateur.


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Velvetman
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le 16 janv. 2018

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