Dès l’ouverture, John Ford inscrit sur la pellicule une promesse, non une biographie. Vers sa destinée n’expose pas seulement les faits ; il modèle une ascension morale où l’ordinaire s’épure pour laisser poindre une figure. Le film met en scène Henry Fonda sous la direction exigeante de Ford, entouré d’une équipe de studio pourtant sensible aux inflexions personnelles du cinéaste. 
La mise en scène de Ford tient d’un art du retrait. Plutôt que de magnifier par l’emphase, il sculpte l’espace et le temps : plans fixes qui laissent les visages respirer, travellings mesurés qui inscrivent l’homme dans le paysage du Midwest, raccords de regard qui constituent autant de jugements implicites. La séquence judiciaire, cœur dramatique du film, fonctionne comme une partition en champs et contrechamps précis où l’efficacité rhétorique de Lincoln se lit au chuintement des silences autant qu’aux répliques. Les choix d’échelle et la distance de cadrage cultivent une stratigraphie morale ; la caméra évite le spectaculaire démonstratif et, ce faisant, confère à l’action une autorité tranquille.
Henry Fonda offre ici une leçon de contenance. Son jeu repose sur la modulation infime : économie de geste, amplitude de la respiration, micro-expressions qui transforment l’argumentation en révélation. Ford le filme frontalement, souvent en contre-jour, exploitant la verticalité du visage pour signaler une élévation intérieure. La photographie, travaillée par Bert Glennon et Arthur C. Miller, tire de ce noir et blanc des plans d’une clarté picturale où la profondeur de champ sert la lisibilité éthique. La musique d’Alfred Newman ne cherche pas l’ostentation ; elle souligne, en motif discret, les inflexions de la conviction. Ces éléments conjoints font de la forme un véhicule de sens plutôt qu’un ornement. 
Le film est conçu comme une progression, presque musicale, où trois temps s’enchaînent jusqu’à la vision finale. Ford ménage des ellipses qui autorisent le public à compléter, à projeter. À travers des motifs récurrents — le fleuve, la tombe, la pente finale — se recompose une genèse symbolique : on voit naître non seulement le juriste mais l’obligé d’une nation. Cette lecture structurelle, déjà notée par certains commentateurs, confère au récit une économie qui n’exclut pas l’émotion ; elle au contraire la canalise. 
Il serait cependant indulgent de refuser toute réserve. Par instants le soin apporté à la monumentalité morale frôle la stylisation, et certains passages, héritiers du studio system, alourdissent la tension par une conscience palpable du public. La coupe de scènes que Ford regrettait atténue parfois la densité paradoxale du récit, laissant au montage une ponctuation plus sage que subversive. Ces inflexions ne retirent rien à la grandeur du film mais les plafonds de production se font sentir lorsque l’intime aurait gagné à être plus ambigu. 
Ce que Vers sa destinée propose en fin de compte n’est pas un portrait définitif mais un trajet d’affirmation. Sa force tient à l’accord entre la simplicité apparente du dispositif et l’acuité morale du regard porté sur son sujet. Ford ne sacre pas un mythe par le pathos ; il l’esquisse par le lent empilement des preuves de caractère. Le plan final, où la silhouette gravissant la colline s’hybride avec l’image du monument, n’est pas une monumentalisation gratuite mais l’aveu pudique d’une destinée déjà en germe. Le film persiste ainsi comme une leçon de cinématographie morale, œuvre modeste et souveraine à la fois, qui continue d’enseigner la manière dont le cadre, le rythme et le silence peuvent produire la grandeur.