S'il y a bien une chose difficile à admettre concernant "Victor Victoria", c'est sa date de sortie : le début des années 80. Esthétiquement, en se focalisant sur le Paris des années 30 et des cabarets, on se croirait dans le contexte de production des années 50, entre les comédies musicales à la Vincente Minnelli et les palettes de couleurs si particulières dans "French Cancan" de Jean Renoir. Thématiquement, dans sa façon d'aborder le sujet de l'homosexualité et du travestissement, entre sérieux et comique, on se croirait facilement à la fin des années 90. Il se dégage de ce décalage une incertitude et une surprise qui valent à elles seules le détour. Le décalage passe progressivement de l'ordre du déroutant à celui du saisissant.


Il y a au cœur de "Victor Victoria" un enjeu narratif faussement important : bien sûr, on n'y croit jamais, nous, spectateur de 2017, au travestissement de Julie Andrews. Mais c'est un peu comme Billy Wilder dans "Uniformes et jupon court" qui faisait passer Ginger Rogers, alors âgée d'une trentaine d'années, pour une gamine de douze ans : on n'y croit jamais vraiment, à titre personnel, mais on finit par croire que les personnages le croient. C'est un imbroglio un peu à l'image de Julie Andrews dans le film : c'est une femme (Victoria Grant) qui se fait passer pour un homme (le comte Victor Grazinski) qui se fait passer pour une femme (danseuse et chanteuse de cabaret) afin d'accéder à la notoriété.


Le burlesque est très souvent manié avec talent par Edwards et repose sur une dynamique de couples : Victoria et son mentor, King Marchand et sa compagne (drôle d'ersatz de Marilyn Monroe), King Marchand et son garde du corps, et bien sûr Victor et Victoria. Leurs interactions se font systématiquement à deux dans un premier temps, selon ces paires définies initialement, avant un petit jeu des chaises musicales : la femme de King Marchand part avec un autre homme, son garde du corps part dans le lit du mentor de Victoria, Victoria se retrouve dans celui de King Marchand, et Victor redevient petit à petit Victoria. Il y a toute une série de quiproquos volontaires et involontaires constituant le carburant de la comédie.


Mais à la différence d'un autre classique de la comédie de travestissement tel que "Certains l'aiment chaud", les ressorts de l'humour ne sont pas en lien avec la tension d'une éventuelle révélation. Le pot au rose du faux travestissement (une femme joue un homme qui joue une femme : un travestissement déguisé, en quelque sorte...) est révélé assez tôt aux yeux des personnages principaux, et les enjeux tourneront plutôt autour de leurs réactions à la sexualité, homo ou hétéro. "Well, nobody's perfect." On est cependant très loin, à mon sens, du final génial de Wilder, Edwards se contentant d'une réconciliation somme toute assez classique et une résolution des conflits plutôt sage. Le film regorge cela dit de pépites discursives à travers les saillies verbales de Robert Preston sous forme de punchlines corrosives, et les dialogues sont dans l'ensemble très soignés. C'est aussi l'utilisation à la fois franche et fine du thème de l'homosexualité qui est réussie : elle est source de nombreuses ambiguïtés, elle questionne sans cesse les notions de féminité et de masculinité (avec les outils d'analyse qui étaient disponibles au début des années 80), et elle introduit un doute succulent en la personne de King Marchand (James Garner), macho mafieux aux certitudes hétérosexuelles quelque peu bousculées pendant un certain moment.

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le 25 août 2017

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Morrinson

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