Premier long-métrage de fiction pour Stéphane Batut, anciennement directeur de casting puis documentariste, « Vif-Argent » s’accapare l’allure d’une romance brumeuse et intrigante, enclavée sur le socle d’un conte fantastique. L’amour comme une somnolence rêvant de visible et d’invisible. Voilà qui n’est pas sans faire penser, parfois, à un certain réalisme-poétique, associable à Jean Epstein, voire Jean Vigo. Traversée de Paris quasi spectrale, « Vif-Argent » nous prouve que pour faire du fantastique, il n’y a guère besoin de maquillage, ni même de quelconques effets. Entre simplicité et extravagance, Batut dresse là un film où lyrisme et poésie s’assemblent dans le cadre d’une véritable singularité romantique. Car si « Vif-Argent » paraît comme l’errance chimérique d’un homme invisible, il pourrait également s’apprivoiser comme une immersion contrastée dans une sorte d’intermonde où les sentiments s’entremêlent avec les symboles. Tout ici est affaire de trajets, de transports, tendant vers l’introspection. Cependant, il ne faut pas s’y perdre, car si il semble s’agir là d’un film d’amour, il s’agit surtout d’un film de mort, étudiant notre relation avec l’immatériel, avec nos souvenirs, nos disparus, et nos empreintes.



Finalement, que sont les fantômes, si ce n’est des souvenirs ? Pour une première fiction, Batut dévoile un courage s'ouvrant à nombre de perspectives, comme notamment lorsque le héros, Juste, demande aux défunts qu’il prend en charge de raconter les scènes importantes de leurs existences. D’un seul coup, nous voilà dans les montagnes, puis dans la jungle, jonglant entre de multiples mondes et perceptions. Faussement réaliste, réellement théorique, « Vif-Argent » brille notamment de la simplicité, la limpidité de sa réalisation, ne cessant de s’adapter à cette idylle fantomatique. Au fur à mesure, les couleurs sont de plus en plus présentes, les plans se rallongent, et l’ensemble de l’œuvre se retrouve littéralement bercé par l’onirisme. Nous parlions plus haut de « trajet », tout simplement car « Vif-Argent », loin de l’ésotérisme d’un « Ghost » ou de la linéarité d’un « Mme Muir », n’est autre qu’un film traitant ses personnages comme des passagers de leurs propres existences. Si le fantastique permet d’innombrables libertés, ça n’est pas pour autant que le film cède à la facilité, puisque son essence se situe, avant tout, dans les rapports humains, dans les actes manqués se transformant en regret, entre deux lignes de moments éparses. Quelque soit les souvenirs, « Vif-Argent » nous rappelle à quel point il est important de les faire revivre, et pourquoi pas, de les recommencer. Certes, il y a là une tendance à se complaire dans des chimères, mais que faire d’autre dans l’entre-deux mondes ? Tout simplement attendre, comme Juste à la fin, seul, dans l'immensité urbaine.


Kiwi-
7
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le 30 août 2019

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