Fabrice Du Welz avait frappé un grand coup en 2004 pour son premier long métrage avec le bien nommé Calvaire; drame tordu sur fond d'amour perverti et de violence sèche. Un film étrange qui divise mais qui ne laisse généralement pas indifférent, le genre d'expérience qui marque. Bien que faisant parti de ceux n'ayant pas spécialement aimer Calvaire pour un certain nombre de raisons je ne pouvais pas nier que le jeune belge avait un certain talent qui ne demandait qu'à s'exprimer.
4 ans plus tard le voilà revenu avec Vinyan, projet qui semble tout aussi intriguant et hors norme que son précédent film. Une attente aussi longue est à la fois porteuse d'espoir et de crainte, Vinyan film de la confirmation ou de la déception ?


-L'ombre d'un corps que j'ai serré si souvent

Vinyan ? Mais que ce que ça peut bien vouloir dire ce truc là ? Et bien sachez, chers lecteurs ( et lectrices j'espère ), que Vinyan est un esprit qui ne trouve pas le repos et qui deviens de fait malfaisant. Et d'esprit qui ne trouve pas le repos il en est bien question dans le film qui suit les déboires d'un couple meurtri par la perte de leur fils dans le Tsunami de Phuket et qui part à sa recherche en Birmanie après avoir cru l'apercevoir dans une vidéo tournée là bas. Le couple en question est campé par Emmanuelle Béart et le trop rare Rufuse Sewell et l'alchimie entre eux est assez immédiate et naturelle, comme tout le film repose sur eux et leur histoire c'est forcément une bonne chose.

Le film est avant tout une odyssée intime de deux personnage en panne d'amour, pour eux, pour l'autre, pour tout ce qui les entoure, l'un préférant fuir la réalité en poursuivant un fantôme et l'autre essayant de se maintenir à flot tant bien que mal en s'accrochant aux fragments concrets de ce qui faisait sa vie avant.
Emmanuelle Béart est évidemment dans l'excès, le démonstratif, le brut de décoffrage mais on ne saurait douter de cette mère et de ce qu'elle ressent. Son évolution au fur et à mesure du film est aussi progressive qu'implacable, passant de l'hystérie la plus étrange au mutisme le plus angoissant avec aisance. A ses côté Rufus Sewell est au contraire bien plus en retenue, plus rationnel en fait et apparaitra comme un miroir du spectateur tant il apparait comme le seul élément proche de nous dans cet environnement déliquescent.

La mise en scène colle elle aussi à ses personnages, épurée et clinique la plupart du temps elle perd régulièrement pied lorsque ses personnages sont à la rupture comme si elle non plus ne pouvait plus contenir ce flot d'émotion brut. Aussi inventive que ses personnages sont perturbés elle cherche sans cesse comment retranscrire au mieux les fluctuations de ses personnages, que ce soit de manière symbolique ( des personnages allégorique, le tsunami vu du point de vue de la souffrance des victime loin de toute illustration spectaculaire ) ou purement visuelle ( on ne peut que s'incliner devant le travail toujours aussi impressionnant de Benoît Debie, le chef opérateur de Calvaire et Irreversible, jouant sur les couleurs primaires et les zones obscures pour créer et isoler des mico-monde aux atmosphères propres ) avec un sens de l'esthétisme toujours pointu et parfois carrément soufflant ( le plan de la découverte du sanctuaire restera longtemps gravé dans les têtes tant pour sa maitrise techniquement que pour la rupture qu'il instille dans l'histoire ).
Plus le film avance et plus la caméra captera de manière physique des aléas psychiques du couple, culpabilité, espoir, peur, angoisse, etc... Brodant d'abord des atmosphères purement fantastiques pour ensuite contaminer d'autres personnages puis le réel lui même. Les barrières s'estompent petit à petit si bien qu'à un certain stade du film on ne sait plus si ce à quoi nous assistons est réel ou si c'est une projection mentale d'un/des personnage.

Le travail de deuil comporte plusieurs phases: le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation. Autant d'état pénibles par lesquels les personnages doivent passer mais peuvent ils le faire ?
Comment accepter l'inacceptable ? Qu'est ce qui est véritablement inacceptable ?
Si la réponses était ailleurs ?
Fabrice Du Weltz se garde bien de juger et surtout de répondre à quoi que ce soit. Le réalisateur nous met dans la position inconfortable de celui qui fera les jugements, qui trouvera les réponses... pour peu qu'on les trouve... pour peu qu'il y en ait au moins une.


-L'absence a des torts que rien ne défend

Le parcours du couple les entraine à travers toute la misère du Triangle d'or, passant des réceptions de luxe au tripots sordides bradant des jeunes filles à la majorité incertaine aux étrangers pour nous emmener au coeur de la jungle où la notion de vie humaine devient toute relative. Mais cette traversé de l'enfer n'est jamais abordée autrement qu'en parallèle du parcours intime des personnages centraux; la construction rappelle d'ailleurs un peu Calvaire à savoir un pitch de départ simple et au développement simpliste. Le film ne dévie jamais complètement de la quête obsessionnelle du couple et agrège autour de ce fil rouge des séquences plus ou moins annexes mais dont les ramifications resteront sous silence et donc parfois complètement obscures (une nouvelle fois une séquence de danse étrange viendra semer le trouble de part sa nature et sa place dans le montage).
Une sensation de vertige s'installe entre la douleur qui ronge ces deux personnages et celle qui déchire toute une région du globe, ce que vivent les uns paraît dérisoire vis à vis de ce que subissent les autres puis l'instant d'après cela apparait insurmontable, une sorte de yoyo affectif permanent et déstabilisant. Lors de la fabuleuse séquence du premier village birman on est incapable de dire qui est le plus à plaindre, qui souffre le plus, tout se mélange et on finit par accepter que la situation est simplement horrible.

Conçu pour être hypnotique le film prend le risque de laisser sur le carreau tout spectateur n'entrant pas dans son univers dés les premières minutes, la spirale qui entraine les personnages au fond ne peut pas être prise en route.
Paradoxalement la distance dans la mise en scène vis à vis des événements extérieurs au drame principal fait à la fois une force du film ( puisqu'ils ont tendance à revêtir un aspect inéluctable ) et à la fois une de ses grosse faiblesse. Car il faut bien reconnaître que le fait de faire un script épuré pour mieux distillé les sentiments des personnages n'est pas forcément une excuse pour qu'il soit répétitif. Les ficelles et engrenages sur lesquels les rebondissements prennent appuis sont assez redondantes ou prévisible et comme l'environnement manque de substance, puisqu'on ne s'y implique jamais, ces défauts de structure deviennent visible et peuvent lasser à force.


Ainsi, s'il y a bien un point qui est décevant c'est que le film ne surprends que peu, l'évolution des personnages, aussi travaillée soit elle, est trop linéaire et en fin de compte le film évolue comme on prévoyait qu'il évoluerait et se termine comme on imaginait qu'il se terminerait. Plus simplement le film se termine et on a ce sentiment étrange qu'on aurait aimer voir quelque chose de plus, de différent. Si le film soigne bien ses ambiances et la psychologie de ses personnages il a trop expurgé son déroulement. Le moteur du film n'est évident pas lié à une quelconque recherche de mystère, le film écartant d'ailleurs habillement l'aspect thriller qu'il pouvait avoir afin de se concentrer sur l'essentiel mais il demeure qu'on a cette sensation routinière qui gâche un peu le plaisir. D'ailleurs la conclusion perd pas mal de sa force ,malgré un traitement plutôt radical, tant elle parait presque facile ou, en tout cas, attendue.


-Fallait pas qu'elle s'en aille, Oh Oh Oh

Il faut voir Vinyan avant tout comme une abstraction, sous ses paysages magnifiques, ses ambiances glauques et ses faux-air de film de genre se cache une autopsie, aussi glaçante que lucide, d'un couple face au deuil. Juste dans sa description des tourments de l'âme face à la douleur, le film piétine cependant dans son déroulement et peine à offrir une claque aussi violente que l'on aurait pu espérer. Pas complètement finalisé le film demeure une démonstration formelle d'une rare maitrise et confirme néanmoins que Fabrice Du Weltz est un réalisateur aussi passionnant qu'hors norme.
Vnr-Herzog
6
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le 24 mai 2010

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