Le couple semble uni. Mais seulement après quelques minutes de film, des lignes de faille semblent déjà séparer Paul et Jeanne. Un arrêt sur image plus tard, sur une silhouette indistincte, la blessure encore vive devient béante. Et le voyage envisagé, pour enfin retrouver l'être cher, même par delà la mort.


Vinyan, c'est la représentation de la souffrance liée à la perte brutale et définitive. En cela, le film offre une véritable odyssée. Dans la réalité, c'est vers la Birmanie que Fabrice Du Welz nous entraîne, sur les pas de ce couple dans son ultime voyage, pour retrouver l'enfant que le tsunami lui a arraché. Cela ressemble à l'enfer : jungle impénétrable et moite, plongée dans la brume, arrosée d'une pluie lourde et chaude. Mais avant d'arriver en enfer, ainsi que dans un lieu qui a tout de la ville fantôme, Jeanne et Paul semblent remonter le Styx, à bord du bateau d'un Charon asiatique manipulateur et avide.


Mais Vinyan est avant tout la représentation mentale de la souffrance d'une mère, mutique, hypnothique, désincarnée, vide, déraisonnable, dont l'esprit est mort en même temps que son fils était emporté. Si Orphée plongeait pour chercher son Eurydice, ici, avec cette oeuvre, c'est Jeanne qui se jette à corps perdu dans le tourbillon, avec son point d'encrage à la réalité, représenté par son mari, qui cède peu à peu, à mesure que la contamination du fantastique se répète. Un tourbillon magnifié par la photographie d'un Benoît Debie en état de grâce.


La quête de l'enfant est illusoire. Mais l'espoir suscité par cette petite silhouette indistincte sur une vidéo devient de plus en plus mortifère. Sur fond de trafic d'êtres humains, Jeanne se raccroche à l'impossible. Le moment où lui est présenté un enfant, un autre que le sien, qui murmure "maman, c'est moi", les bras tendus, n'est que le début d'un long calvaire émotionnel déchirant qui lui fera abandonner le peu de lucidité qu'il lui reste.


Par la suite, les enfants seront représentés comme des démons issus des tréfonds de la terre ou comme des fantômes dérangeants, déformés et de plus en plus inquiétants à mesure que Jeanne abandonne toute conscience. Dans ce rôle à fleur de peau, Emmanuelle Béart inquiète et fascine tout à la fois. Souffrance palpable, hypnotique, comme si elle était sortie de son propre corps. Elle renoue dans sa beauté ainsi que dans la dureté de son visage, avec celle qu'elle était il y a longtemps, dans Manon des Sources. Rufus Sewell, lui, ne peut que rester en retrait, son personnage impuissant essayant de ramener son épouse à la raison, quoi qu'il lui en coûte.


La quête filmée par Fabrice Du Welz n'a pas pour seul prétexte l'argument fantastique, ni la douleur liée à la perte. En faisant finir son film dans les ruines d'un temple, il ausculte les fissures du couple, après qu'il se soit enfoncé dans la jungle comme on s'enfonce dans la folie. L'implosion, jusqu'ici latente, devient manifeste, ne laissant se développer que les haines et les rancoeurs, les blessures encore à vif, la douleur qui détruit le lien. L'ultime irruption du fantastique se chargera de balayer le peu de sens qu'il restait entre eux.


Vinyan prend prétexte d'un voyage sans retour pour parler du couple et de ses affres, le fantastique illustrant quant à lui la conscience mourante qui vacille sous les assauts d'apparitions spectrales au visage hâve ou, au contraire, aux traits carmins. Réalité ou délire, la frontière est toute à la fois ténue et mouvante, à l'image de la réalisation de Fabrice Du Welz, qui semble parfois, malheureusement, se perdre un peu en chemin de ses aspirations viscérales et sensorielles. Comme une illustration du constat selon lequel on ne sort jamais indemne de l'enfer.


Behind_the_Mask, enfer vert.

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le 22 nov. 2015

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