Sophie Letourneur a toujours cette idée maligne de jouer avec le réel et les petits moments du quotidien un peu nuls de la vie pour nous offrir une intimité puissante et un burlesque vraiment drôle. Voyages en Italie contient ce doux mélange, qui rend la comédie vraiment unique en son genre car elle ne bénéficie d'aucune prétention dans sa mise en scène et s'écarte de toute banalité scénaristique, en choisissant de ne pas y coller spécialement d'intrigues.


C'est par ailleurs très propre à son cinéma : la volonté de capturer des instants que le cinéma standard a tendance à ne jamais montrer ou filmer, jugeant ça inintéressant. Mais tout ces petits riens, dans les échanges au début à Paris, et durant tout le voyage en Italie, construisent la situation actuelle de ce couple mais aussi leurs personnalités et leurs quotidiens. Avec un montage souvent surprenant dans son rythme et un comique de situation parfois hilarant (la désinvolture extrême de Sophie Letourneur, le coté "stressé de tout" de Philippe Katherine, excellent dans ce rôle), Voyages en Italie est une véritable retranscription intime d'un couple qui bat de l'aile. Mais dans leurs incompréhensions mutuelles, leurs libidos qui ne sont jamais calées, leurs disputes appuyées par des bouderies enfantines, on y trouve une sincérité dans leur amour. Et c'est si réaliste que tout cela devient très touchant. Pas besoin de poussifs dans les dialogues, ou de répliques niaises. Tout se joue dans leur quotidien. Le couple forme une espèce de maladresse constante, avec un petit coté looser très drôle. Et ces dialogues toujours très bien pensés, donnant l'impression d'une totale improvisation (alors que tout est écrit du début à la fin), donnent au film une authenticité qui ne tombe dans aucun piège de films de vacances.


La beauté des paysages est souvent masquée par le coté pragmatique de Philippe Katherine, qui se met à parler d'urbanisme et de Sarkozy pendant une balade autour d'un magnifique volcan, comme si il ne profitait jamais de son voyage, ce qui crée un décalage burlesque très drôle, notamment avec les réactions un peu désinvoltes de Letourneur. Il y a toujours une volonté chez la réalisatrice de faire un effet dialogues de sourds aussi : le couple ne se répond parfois pas du tout mais continue de parler quand même sans trouver ça dérangeant, je trouve ça très drôle. Il y avait beaucoup de ça dans Les Coquillettes, un autre film jouant pas mal avec la caricature de ses personnages pour les ridiculiser dans leurs échecs.


Son image très camescope ajoute aussi à cette authenticité. Letourneur n'ayant évidemment pas eu les autorisations pour tourner. Mais cette fascination pour le réel, le fait de jouer avec de vraies personnes en arrière plan, de discuter avec des vrais commerçants, assumer le fait que ce fut tourné en pleine période de Covid (il y a donc des séquences masquées), ça fait un bien fou. Il s'y dégage une telle légèreté à ne pas vouloir absolument tout contrôler dans l'image, avec des figurants et une lumière qui serait installée en amont, que le tout se transforme presque en documentaire. Même si le choix des cadres et les dialogues ont été le fruit d'un long travail très pointilleux de Sophie Letourneur, elle tenait à retranscrire ça pour voir ce que ses propres souvenirs donneraient au cinéma (les scènes dans le lit sont littéralement inspirés par un audio qu'elle a enregistré avec son vrai copain quand ils parlaient du film), avec ce décalage comique rajouté dans le jeu des comédiens. Et avec aussi ce jeu assumé entre la fiction et le réel, comme le fait que les comédiens finissent pas commenter ce que l'on voit dans le film, comme si ils étaient en train de le construire. Pareil, mécanique de mise en scène très singulière à Letourneur, qui jouait de ça dans Les Coquillettes et aussi Le Marin Masqué, ce qui accentue sa volonté d'accorder de l'importance aux souvenirs.


Ca donne une comédie vraiment spéciale et unique en son genre. Dans son traitement et cette superbe maitrise dans le fait de filmer des choses de la vie, qui sont banales aux premiers abords mais qui construisent aussi tout un voyage. Pas besoin de gros éléments déclencheurs, de grosses disputes ou de gros sabots. Une intimité propre à ce couple suffit à créer un film d'une grande justesse tout en étant très drôle et loufoque dans sa mise en scène très inspirée par Hong-Sang Soo, notamment dans les nombreux zooms. Ca fait du bien.

Guimzee
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le 17 mars 2023

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