Une fleur sauvage au pays des cendres

C'est dur de trouver les mots, pour parler d'un film vous prend à ce point aux tripes.
Dur d'engager une critique froide et rationnelle, quand on a baigné 2h20 dans un volcan d'émotions brutes ou retenues, et d'une telle intensité, que ce film en devient son chouchou N°1 de tous les temps.
C'est toujours pareil avec Warrior : boursouflures émotionnelles, souffle court, gorge serrée, poitrine en feu, la fin met toujours votre serviteur K.O.
Loin des violons de Spielberg, Warrior éveille mes fantômes endormis, et se fait le miroir d'un rapport obstinément survivaliste avec l'existence.


Parvenu à ce stade d'empathie avec les lutteurs, on gagera que le chanceux pour qui la vie passe en un éternel printemps, ce chanceux vierge des affres d'une indicible douleur solitaire, y verra juste un bon divertissement, servi par des acteurs cinq étoiles, mais néanmoins oubliable.


Sur un mode mineur, Warrior est un "petit" film d'arts martiaux mixtes, et à peine l'esquisse d'une histoire de famille.
En réalité, à l'instar d'un Breaking the waves, on fait d'abord face à une histoire de vieilles souffrances non taries. De plaies encore chaudes, de deuils irrésolus, et cette sinistre panoplie de traumatismes, regrets, rage, colère, lourds silences et rancunes tenaces, de toutes ces choses qui font des êtres qui s'aiment fort, en viennent pourtant à ne plus pouvoir se sourire, ni se prendre dans les bras, sauf pour s'empoigner dans une rage-cage.


La vie a joué un tour de cochon à la famillle Conlon.
Le père, rescapé d'un alcool dur, sait tout le mal commis à son entourage. Ses erreurs d'ivrogne s'entendent dans sa voix cassée, son regard blessé, toujours émouvants. Pourtant, lors de cette déconfiture passée, il a formé avec brio ses 2 fils à la lutte, mais l'un avec plus de ferveur que l'autre.
Deux frères, autrefois proches, mais séparés par un drame destructeur, qui a fait exploser cette famille autrefois unie.
L'aîné, le plus résilient, a pu bâtir quelque chose de positif, une nouvelle famille, et même à être père à son tour. Seulement, comme un écho aux souffrances passées, il a dû s'endetter à mort pour une opération du cœur de sa petite fille. Le cœur, encore une fois, en forme de transmission épigénétique d'un poids trop lourd à porter seul.
Et puis il y a le cadet, solitaire et ombrageux, une grosse boule de muscles, qui marche comme voûté par le poids des épreuves, les plaies encore à vif. Lui, une fois lâché sur le ring, n'est que rage pure, une âme carapacée de rhinocéros fonçant droit sur sa cible-démon, comme la catharsis d'un fauve dangereux blessé presque-à-mort.
Presque.


Au fil des affrontements, transparaît que ce combat dans la cage n'est pas juste un règlement de compte, il est une condition nécessaire de survie à cette chienne de vie. Une violente transfiguration pour éclater ces vieux abcès au cœur. Une mise aux poings sans retenue, puisque la retenue affecte ces mots du pardon et du lien retrouvé. Des mots qui manquent encore, alors les démons de passé soufflent de nous enfermer dans l'orgueil le plus noir, de ne rien pardonner, pour que ceux qui sont séparés, le demeurent.
Ici, le plus dur des combats, n'est pas de battre son adversaire, c'est de se battre soi-même, de lâcher prise avec ce passé trop lourd pour aller de l'avant, parce que l'amour, malgré tout, est toujours là, increvable, quel que soit le poids des erreurs passées des uns et des autres.
Et plus que des bourre-pifs, et autres contorsions spectaculaires, il faut une force de vrai warrior pour accepter de dire, mais aussi d'entendre ces mots qui font du bien à l'âme, et qu'enfin se libère cet amour de sa prison d'orgueil par l'élan du pardon. Ces mots qui tapent fort et juste, et qui à chaque fois, font trembler votre serviteur, en mouillant son visage de larmes, au moins autant que la sueur coulant sur la face endolorie des deux champions.


Sur les traces d'un Rocky humble, mais rompu à encaisser les coups d'un dur destin sans jamais totalement fléchir, Warrior est cet hymne puissant à une vie en miettes, puis l'esquisse de sa renaissance, comme le retour d'une fleur sauvage au pays des cendres encore chaudes.

franckwalden
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le 20 juin 2019

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Franck Walden

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