Who Watch them ?

Il est minuit moins cinq sur l’horloge de l’apocalypse et l’un des premiers Gardiens, le Comédien vient d’être retrouvé écrabouillé sur la chaussée dans l’indifférence généralisé. Il faut dire que les justiciers ont perdu de leur superbe et que le bouffon été tout sauf un enfant de coeur, l’assassinat de Kennedy c’était lui. Les vrais héros sont devenus ceux du quotidien, ceux qui doivent endurer un rêve américain devenu réalité et supporter le cinquième mandat d’un président acculé ayant enterrer ses concurrents pour s’imposer comme la seule alternative possible à l’invasion du bloc communiste. La guerre froide n’est donc pas prête d’être terminé, et pour calmer la vindicte populaire, rien de tel que la peur d’un conflit nucléaire. Face à cette menace, Nixon possède une autre arme tout aussi dissuasive : le Dr Manhattan, un être omniscient et omnipotent et accessoirement dernier protecteur du temple, garant de la sécurité, de la liberté et du mode de vie dit civilisé, auquel les Etats-Unis doivent leur victoire écrasante à Danang. Les anciens miliciens non dotés d’extraordinaires facultés se sont donc recyclés pour jouer les CRS d’une police d’état privé et réprimer les manifestants à coup de gaz lacrymo et de trique dans le gosier avant d’être définitivement mise à pied.

L’histoire est donc narré par Rorschach qui arpente toujours les bas fonds de cette ville en chaleur, qui pue le vice et la décadence et dont le masque revêt les états d’âme du moment. Ce dernier est persuadé qu’un complot se trame derrière le meurtre du Comédien et que quelqu’un souhaite l’exterminer lui et ses anciens compagnons. Le Hibou de son côté à longtemps tiré un trait sur tout cela, ça ne l’intéresse plus d’autant qu’il s’est souvent senti impuissant en tant qu’exécutant. Pour Ozymandias, personnalité préféré des médias télévisés et présenté comme le nouvel Alexandre le Grand, les Gardiens ne font figure que de reliques désuètes prêtent à être soufflé par le vent du progrès auquel contribue le Dr Manhattan, un ancien physicien victime d’une expérience électromagnétique l’ayant rendu invulnérable à tout y compris aux émotions, ce qui le rend de plus en plus misanthrope et indifférent au sort de l’humanité, à tel point qu’il va d’ailleurs choisir de s’exiler. Les Watchmen censé éviter que l’horloge ne s’arrête définitivement sont les héros d’un autre temps qui n’ont désormais plus aucun effet sur le cancer qui ronge la société et gagne leur rang, ils sont à l’image de leur homologue Moloch, morne, apathique et résigné à leur sort.

Dans cette uchronie malade et mal embarqué, la seule solution réside à guérir le mal par le mal, par une éradication totale à laquelle va s’opposer Rorschach qui ne peut paradoxalement s’épanouir que dans la souffrance et la douleur. On est loin de l’optimiste béat de Stan Lee et de son idéalisme patriotique à outrance. Les costumes d’Arlequin, bandeaux masques et autre ersatz de Batman en plus ou moins chouette (enfin façon de parler), ne servent qu’à mieux dissimuler les frustrations et les mauvaises intentions ou bien à faire accepter toutes sortes d’exactions (du viole au meurtre de sang froid). Watchmen n’a d’ailleurs rien d’un film de super-héros, c’est un récit narratif extrêmement bavard et complexe aux multiples tonalités alternant entre présent et passé, mettant l’accent sur son intrigue et son exposition, où l’action sert avant tout de défouloir thérapeutique au vigilantisme. C’est une farce tragique dans laquelle on fini par esquisser un sourire aussi jaune que le pin’s maculé du Comédien.