West Side Story par Steven Spielberg. Un immense classique revisité par l’un des réalisateurs les plus acclamés de l’histoire du cinéma américain, pour ne pas dire de l’histoire du cinéma tout court. Autant dire, déjà, la promesse d’une envolée magique au son des chansons de Leonard Bernstein, à l’approche des fêtes de fin d’année.


Le spectateur cynique pourrait voir, dans ce projet, une nouvelle preuve du manque d’originalité du cinéma américain, qui, faute de se renouveler et de s’attaquer à de nouveaux défis, se replonge dans ses incontournables pour tenter de garder de l’intérêt auprès du public. Cela serait oublier qui est à la baguette, pour offrir aujourd’hui un nouveau regard sur cet immense classique déjà maintes fois salué, qui fête son soixantième anniversaire cette année. Et Steven Spielberg nous fait rapidement comprendre que ses intentions ne seront pas simplement de reprendre plan par plan le film original, mais bien de le réactualiser pour le faire entrer dans notre époque. C’est ainsi qu’à la lumière estivale qui irradie ces quartiers new-yorkais bien cachés dans une ville vivante et tentaculaire, succède ici la désolation, une lumière blafarde sur les décombres d’un quartier en passe d’être démoli, où la jeune génération erre sur des ruines.


Loin de l’ardeur teintée d’innocence du premier film, le West Side Story de Spielberg met d’emblée sur images un constat d’échec, la vision d’une catastrophe qui s’est déjà produite ou qui est en passe de se produire, un peu comme s’il nous offrait la vision d’un monde d’après, prenant en compte la fin du film d’origine, sans qu’elle n’ait pu changer quoi que ce soit. Ici, Jets et Sharks continuent de se tirer la bourre sur fond de haine raciale pour savoir qui aura les droits sur ce territoire désolé qui est le seul qu’ils n’aient jamais connu, et au sein duquel ils sont prisonniers. Et c’est donc, au milieu de toutes ces tensions, qu’aura lieu la rencontre entre Tony et Maria, parenthèse enchantée dans un monde désenchanté, où, l’espace de quelques instants et de quelques regards, deux âmes pourront entrevoir la beauté du monde, comme dans un rêve.


Au-delà de ses nombreuses envolées marquées par des chorégraphies spectaculaires et entraînantes, et accompagnées des incontournables chansons de Leonard Bernstein, le West Side Story de Steven Spielberg vient mettre l’accent sur de nombreux sujets accablant la société américaine (et pas que) aujourd’hui. Il y a donc les tensions entre communautés, ici très vives entre les Américains se disant « chez eux » et les portoricains venus vivre ici dans l’espoir d’un avenir meilleur, mais aussi toute la vision d’une énorme fracture sociale entre les différentes classes de la société, les plus défavorisés voyant ici leur quartier être détruit pour concrétiser un programme destiné à des clients plus aisés, poussant tous ces habitants dont on se soucie peu toujours plus loin du cœur de la ville, qu’ils font pourtant battre tous les jours. Cette guerre que se mènent Jets et Sharks devient absurde, les deux clans étant dans la même misère, mais leur héritage et la tournure des événements font qu’ils doivent subir les conséquences des injustices de ce monde, et qu’ils se retrouvent réduits à se battre entre eux. Il y a donc, à l’instar du film de 1961, toujours ce discours social très puissant et important, que Spielberg aborde de très diverses manières pour proposer un film très dense et riche en réflexions à ce sujet.


S’essayant ici à la comédie musicale, probablement l’un des rares registres que Spielberg n’avait pas encore exploré, le cinéaste parvient à restituer toute la beauté et toute la brutalité de West Side Story, ramenant le film à notre époque sans jamais trop s’éloigner de l’esprit du film original pour autant, soulignant d’autant plus sa qualité de conte intemporel. Comme dans un souci de garder près de lui un public devenu moins familier des comédies musicales au cinéma, le cinéaste parvient à générer d’intéressantes transitions entre moments parlés et chantés, octroyant un sentiment de naturel supplémentaire à ce West Side Story. Lumineuse, Rachel Zegler irradie l’écran à chacune de ses apparitions, sa voix nous emportant à chaque chanson, quand les acteurs secondaires parviennent à très bien tenir leurs rôles malgré le poids de l’héritage, avec un véritable talent dans la performance artistique, à la hauteur du défi à relever. Ansel Elgort, enfin, a bien le physique et l’allure qui convient au rôle de Tony, dans cette timidité apparente en début de sa haute stature, poussant ici la chansonnette et se livrant à certains pas de danse, sans avoir toujours toute la maîtrise des autres il est vrai, mais trouvant bien sa place dans cette nouvelle adaptation du spectacle. Enfin, le retour de Rita Moreno à l’écran offre un très beau clin d’œil au premier film sans jamais paraître forcé. Comme beaucoup de critiques déjà élogieuses semblaient le montrer, West Side Story version 2021 est bel et bien une très belle réussite, réactualisant le film d’origine tout en cultivant son esprit, avec la vision de la fin d’un monde déjà disparu, et celle d’un autre qui menace si l’histoire continue de se répéter.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 15 déc. 2021

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