La participation du dernier film de Saeed Roustaee à la compétition cannoise n’a pas manquée de faire réagir, dans le mauvais sens du terme, une grande partie des cinéastes iraniens. En cause, un tournage s’étant déroulé selon les règles imposées par la censure islamique, impliquant notamment le port obligatoire du voile à l’écran pour toutes les actrices. De quoi accuser le réalisateur des incroyables La Loi de Téhéran et Leila et ses frères d’avoir renoncé à son esprit contestataire ou, pire encore, de s’être vendu au pouvoir en place. Le sentiment de trahison peut certes se comprendre au vu du contexte (le mouvement de libération des femmes étant encore très présent dans les esprits du peuple iranien), mais soulève la question de la résistance aux dérives autocratiques qui, dans notre monde actuel, semble se plus en plus devoir se conformer à une forme de pureté militante ne souffrant aucun compromis. Au point d’occulter certaine réalités plus complexes, comme le fait que Roustaee fut condamné à six de mois prison après la sortie de son précédent long-métrage, ou encore que la contestation peut prendre de multiples formes, notamment celle consistant à s’intégrer prétendument au système pour mieux le pirater de l’intérieur. Soit l’approche choisie pour ce Woman and Child, un film qui, loin de céder aux sirènes du conformisme, transpose au contraire la rage de son réalisateur dans le cadre d’un mélodrame d’une puissance incroyable.


A l’instar de Leila et ses frères, la famille est une fois de plus chez Roustaee l’épicentre du désastre à venir, un microcosme dont la fragilité initiale (une mère élevant seules deux enfants parmi lesquels un fils en décrochage scolaire, et dont le remariage prochain se heurte à la méfiance de sa belle-famille) va littéralement imploser à la suite d’un accident dramatique, plongeant Mahnaz (Parinaz Izadyar, bouleversante d’intensité) dans un long et douloureux chemin de croix. Reliant l’intime au macroscopique, le réalisateur fait du parcours de son héroïne un reflet de la société iranienne dans son ensemble, par le biais d’une mise en scène dont la vitalité fulgurante renvoie directement à la filmographie des maîtres Scorsese ou Coppola. Qu’il s’agisse de cadrer l’environnement des protagonistes à la manière de cercueils de bétons les emprisonnant dans leur déterminisme social, de figurer la colère accumulée par la population et prête à s’embraser à tout moment (ces impressionnantes scènes de foules dont Roustaee semble être devenu le spécialiste), ou encore de décupler l’émotion des instants les plus dramatiques (soyez prévenu, on pleure beaucoup pendant le visionnage, et jamais de manière gratuite), tout dans ce film participe à l’illustration du fond par la forme. C’est beau, c’est bouleversant, c’est puissant, c’est du grand cinéma.


Tout cela au service d’un portrait littéralement accablant d’une société gangrénée par la misogynie et l’absentéisme, dans laquelle les structures déficientes condamnent l’être humain, dès sa naissance, à la misère relative à son sexe ou à sa classe sociale. Face à ce gouffre béant et sans espoir, ne reste plus selon le cinéaste qu’une seule issue : tourner le dos à la violence des hommes et embrasser le féminin dans toute sa splendeur, pour peut-être enfin parvenir à une société réellement plus juste et égalitaire.

Little-John
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le 4 juin 2025

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