Un calibrage réussi mais qui se casse la gueule à la fin

Introduction


Pour comprendre mon avis sur Wonder Woman il faut que je contextualise mon avis sur les films de super-héros. Comme le reste de ma génération, j’ai pas mal été marqué par les Spider-Man de Sam Raimi dans les années 2000. Sont ensuite arrivés les films Batman de Christopher Nolan, qui m’ont fait plonger dans l’univers DC. Quand Marvel a commencé sont univers cinématographique avec Iron Man, je n’ai pas été particulièrement emballé, résultat je n’en ai vu que quelques uns et ressors toujours avec une impression de vide, tout particulièrement avec Captain America : Civil War. Et quand je lis les critiques de, disons, Dr Strange, j’ai cette vive impression que malgré la réussite de rendre mainstream un énorme univers de personnages, ils se servent surtout d’un modèle archi rentable répété systématiquement pour chaque film ; et après tout, d’un point de vue capitaliste c’est parfaitement logique. Mais bon, moi j’aime pas leurs films, d’abord parce que j’aime pas les popcorns, et ensuite parce que la sauce ne prend pas avec l’impression de voir des figurines se taper dessus sur un parking.


Quand j’ai su que Zack Snyder (avec Nolan en co-producteur) allait réaliser Man of Steel, j’étais ravi. Parce qu’après avoir vu 300, Sucker Punch et Watchmen, je savais de quoi le bonhomme était capable, et c’était selon moi exactement ce qu’il fallait pour adapter cet univers en film. Je n’ai pas été déçu par Man of Steel, bien sûr on pourra y trouver des incohérences, des problèmes de rythme, une rupture avec ce qu’étais Superman par le passé mais c’était justement ça qui me plaisait ! Le but était d’essayer d’imaginer l’impact réel d’un superman dans notre monde, avec un Clark beaucoup plus humain qui ne trouve pas sa place. Il est en questionnement continuellement et c’est notamment ça non-évolution qui constitue un des problèmes d’écriture pour certains qui aiment le schéma classique : introduction, événement déclencheur où le héro entame un trajet émotionnel pour arriver à une conclusion en fin de film et un positionnement moral (à l’image de Spider Man et la relation pouvoir/responsabilité). Du coup cette ambiguïté latente est encore présente dans le personnage de Clark durant Batman v Superman qui ne permet pas une réelle opposition idéologique entre Bruce et Clark puisqu’ils incarnent tous deux une figure puissante et indépendante. Snyder et Goyer ont rompu avec le matériau de base, à savoir le comic de Frank Miller, où Superman était le citoyen droit qui obéit au gouvernement américain. Batman v Superman : Dawn of Justice avec son Lex Luthor souvent détesté essaye donc de rendre plus complexe les thématiques abordées : Lex souffre visiblement de problèmes paternels, il est entièrement complexé et ne supporte pas l’idée d’un être plus puissant que lui par nature. Il voit en Dieu, donc Superman l’ennemi absolu et est prêt à tout pour le détruire : Batman, Doomsday.


Pas la peine de tout vous raconter, ces 2 films ont vraiment divisé les critiques et auprès du grand public, ça ne prend pas. Ceux qui connaissent vaguement les comics ou séries animées sont outrés des changements du style « mais Batman tue », à eux répondez simplement « ta gueule » ça sera plus simple que de leur expliquer. Le grand public quant à lui ne comprend rien parce que Batman v Superman c’était 3 histoires condensées en un film : Man of Steel 2, Batman contre Superman et La mort de Superman (sans oublier l'Aube de la Justice). Et je ne parle même pas de Suicide Squad qui est mauvais sur plein de points, mais là aussi c’est subjectif même si on veut nous faire croire le contraire (en ce qui me concerne j’ai pas beaucoup ri, je trouve les personnages sous-exploités, j’ai pas du tout aimé le Joker, et j’aurais préféré qu’ils aient eu les couilles de garder le projet de base de faire un truc dark au lieu de le travestir en Gardiens de la Galaxie). Regardez le dessin animé DTV Assault on Arkham si vous voulez un divertissement avec la Suicide Squad et un meilleur scénario.


Le Projet


Arrive donc Wonder Woman réalisé par Patty Jenkins avec Gal Gadot et Chris Pine en vedettes. Le film est supposé sauver le DCEU (DC extended universe) parce que malgré de très bon résultats au box-office, les 3 films précédents ont laissé des avis mitigés. Et ce projet Wonder Woman c’est l’occasion de retenter une origin-story, sans commettre les « erreurs » supposées de Man of Steel (et par extension Batman v Superman qui ne pouvait rien introduire proprement d’où sa version longue) et d’avoir un rapport de force face à Marvel en proposant le premier film de super-héro dédié à une femme. Si Batman v Superman et Suicide Squad viennent se manger des contraintes absurdes de la part des studios, Wonder Woman, lui, est le film de l’espoir sauf qu’on le sait dés le début, le film n’a pas du tout la même ambition que les 2 premiers. Il s’agit ici d’introduire Wonder Woman, et de lui donner du contexte pour la suite dans un bon blockbuster pegi-13 des familles. Et je ne vous le cache pas : le film est une réussite, le projet a réussi, mais c’est justement avec ce projet que j’ai un problème. Comment être satisfait d’un projet dont le seul but est de foutre Wonder Woman à l’écran ?


Réalisation


Si on accepte ce postulat, oui, Wonder Woman est une réussite. J’ai beaucoup aimé l’introduction de l’histoire des amazones réalisée en filmant des peintures mixées à des effets 3D, ce qui est un travail relativement original, l’arrivée de Steve Trevor et toutes les répliques humoristiques associées à la découverte du monde des humains, donc des hommes lors de la 1ère guerre mondiale, les scènes d’actions au front qui sont le point où j’attendais le plus le film. J’attendais beaucoup le film sur sa musique, et malheureusement, tellement hypé par le thème composé par Junkie XL, j’ai senti comme une retenue de la part de Rupert Gregson-Williams pour sa bande-originale. Il a en effet composé un nouveau thème pour Diana qui interviendra aux moments clés de l’histoire, là où je pensais plutôt entendre le thème de Tina Guo. On retrouve néanmoins ce thème lors des scènes de combat mais il sera, du coup, légèrement en arrière plan et remplacé par quelque chose de beaucoup plus générique.


Techniquement c’est très réussi, on retrouvera comme prévu la boites de prod de Snyder (et d’autres) et un budget de 149 M$ (bien rentabilisé). Le superviseur des VFX étant celui de Warcraft, c’est effectivement très soigné. Si le montage, lui, s’arrange pour fournir une rythmique cool avec la musique notamment lors de la scène de la libération du village en Belgique, on aura droit à beaucoup de ralentis (très snyderiens) et quelques effets reconnaissables comme le gros travelling qui suit la balle traverser le champ de bataille pour atteindre le brassard de Diana. Aussi ce qui ne me déplaît pas malgré le calibrage c’est de trouver un nombre important de ralentis. C’est monté pour correspondre à la musique mais surtout pour sélectionner les plans, et j’y ai retrouvé ici la volonté de créer de véritables tableaux. Car dans une page de bande dessiné il est beaucoup plus compliqué de rendre compte de la temporalité, il faut que l’action soit lisible mais transmettre le sentiment de vitesse.


Après Man of Steel avec un style un peu caméra épaule, BvS était plus posé et on pouvait identifier certains plans comme des cases de comics. Typiquement ce qu’a fait Snyder à la fin de BvS est le genre de case qui aurait pris la moitié de la surface de la planche. Le feu en arrière plan qui surexpose l’image vient renforcer la silhouette des personnages qui se veut facilement reconnaissable du temps où les comics étaient peu colorisés.


Ici l’effet est encore plus marqué : Wonder Woman est en mouvement (ce qui est souvent bien représenté dans une case de comics) et le reste est globalement statique et c’est très efficace dans cette optique. On retrouve cette notion de contraste colorimétrique en plaçant Wonder Woman bleue et rouge au milieu du No Man’s Lan entièrement gris.


Clairement, on ne ressortira pas déçu des scènes de combat, le seul défaut étant les décors peut intéressants. Et là c’est un point commun à beaucoup de films récents. Si la première bataille des amazones est cool, plus on évolue dans le film, moins les décors deviennent intéressants. C’était pareil dans Man of Steel et Batman v Superman (et si on veut pousser plus loin, également Fast and Furious 8).


Ecriture


L’écriture est compliquée à juger car comme je l’ai dit, c’est le projet qui est à mettre en cause si l’on n’aime pas. En revanche ce qu’on peut étudier sont les différents personnages. Et là rien de particulier, encore un trait marvelisant : Wonder Woman est une héro, et c’est tout, on l’accepte. Steve est son point de rencontre avec les humains et lui permettra d’y avoir une relation privilégiée puisqu’il est « au dessus de la moyenne ». Les personnages secondaires : Charlie, Sameer, The Chief seront plus ou moins présents, avec un fort désavantage pour Chief et Sameer qui semblent avoir été pas mal coupé au montage. Ils seront là pour l’aspect collaboration et former une équipe assez classique dans ce genre d’histoire. Quelque part c’est bien de ne pas s’appesantir inutilement sur eux puisqu’ils n’apportent rien à l’univers. Ils sont simplement là pour donner de la personnalité au monde humain. Quant aux méchants Dr Poison et General Ludendorff : aucun intérêt, mais là aussi, ils ne sont en rien mauvais.


Interprétation


Et malheureusement ce que je n’ai pas retrouvé dans ce film, c’est un message ou une morale. Si bien sûr Wonder Woman est une figure emblématique du féminisme née en 1941 et que son adaptation est réussie à l’écran comme l’avait fait l’animé de 2009, et bien le film ne parvient pas à critiquer le monde comme devrait le faire un film qui parle d’un étranger dans notre monde. A la manière des Lettres Persanes, la visite d’un monde de la part d’une amazone qui vit en harmonie ne doit pas se limiter au sexisme et à la corruption par Arès du cœur des hommes. Si dans l’animé, Diana est plutôt froide et incarne un vrai rôle de guerrière, ici Gal Gadot incarne le personnage naïf qui ne comprend pas les décisions de l’Etat-Major parce qu’ils sont capables de laisser des gens mourir. Malgré tout cela ne l’empêche pas de massacrer des dizaines d’allemands, les « méchants ». Et ceci forme une dissonance narrative entre la préparation au combat non-stop des amazone et l’envie de combattre de Diana dés son plus jeune âge, et ses déclarations de paix ensuite. Dans ce film une des premières choses qu’elle fait est de s’extasier d’un bébé tandis que dans l’animé une de ses premières actions est d’apprendre à une petite fille à se battre pour qu’elle joue avec ses camarades garçons qui font les pirates. De même, l’ambiguïté que j’appréciais chez Clark dans Man of Steel est absente ici où on aura affaire directement à une véritable divinité. Et là aussi, niveau symbolique, aucun problème.


Au final le message féministe est presque parodié, puisqu’on est dans un monde fantastique où Arès a corrompu le cœur des hommes (même s’ils sont un peu mauvais de base). A l’inverse, elle mentionne beaucoup le thème de la paix, et cherche à vaincre Arès dans ce but, mais en constatant les horreurs de la guerre, elle garde au final un point de vue positif sur les humains, là où elle aurait dû, au contraire, être repoussée afin d’être raccord avec ce qu’elle dit dans Batman v Superman. En réalité le film aurait été ultra-puissant s'il reposait sur le conflit intérieur de Diana qui veut aider les hommes fasses à Arès avant de réaliser que les hommes sont mauvais et explique son absence jusqu'à BvS. Et tout celà est détruit dans le dernier acte lorsqu'ils décident de faire intervenir Arès afin d'aborter une confrontation physique à la hauteur de Wonder Woman : les visuels très moyens, les dialogues mauvais annulent ainsi tout ce que qu'avait préparé le film faisant ainsi perdre le seul propos qui aurait pu être intéressant.


Conclusion


La question posée plus tôt était la suivante : Peut-on se satisfaire simplement de l’existence de ce film ? Certains fans de DC étaient déjà ravis de Batman v Superman : Dawn of Justice pour avoir réuni la Trinité (Batman, Superman, WonderWoman) dans un film au cinéma pour la première fois. En ce qui me concerne je suis également content que le film existe et soit une réussite. Mais je déplore le fait que les réactions justifiées ou non à la suite de Batman v Superman aient conditionné à ce point Warner / DC jusqu’à ruiner Suicide Squad et éviter tout risque pour Wonder Woman. Mais je me trompe peut-être, si ça se trouve c’était écrit comme ça et on se satisfait du fait qu’une femme ait pu réaliser un blockbuster. En plus ça fait sens de ne pas raconter quelque chose de compliqué car le but est d’amener les gens à connaître ce personnage qui n’a jamais eu de film contrairement à Batman v Superman qui était bourré de références pour les fans. En tout cas cette fois-ci le calibrage des studios n’aura pas abouti à un mauvais film. J’ai kiffé mon moment, mais c’est du DC popcornisé, ou marvelisé ; je préfère tout de même largement ça aux Marvels ce qui en dit pas mal sur la qualité de ce film. Peut-être que Nolan était trop bon et qu’on veut toujours essayer de comparer. De la même manière qu’Interstellar n’a pas forcément été adoré du grand public, on détecte une incompatibilité et une fracture plus grande entre le cinéma d’auteur et le cinéma de spectacle contrairement à ce qu’ont pu faire Cameron et Spielberg par le passé. Et à présent cette simplification du cinéma d’auteur atteint les films de comics alors même que DC avait presque inventé le genre en faisant appel à Tim Burton pour Batman (1989).

Créée

le 16 août 2017

Critique lue 128 fois

Magemo

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