On est là, on est là, même si...

Un film très court, à peine plus d'une heure, tourné en une semaine, sur un lieu unique (un théâtre). Qui est au demeurant une sorte de pièce théâtre, pour laquelle la scène s'étendrait à la salle de spectacle toute entière. Une pièce de boulevard, son public très parisien, et un spectateur qui entre soudain dans le jeu. Un bouleversement des conventions en quelque sorte, bref, la marque de fabrique de Dupieux. Les dialogues sont bons, souvent savoureux, et les acteurs s'en donnent à cœur joie.

Au-delà de cette forme bizarroïde, la critique sociale est manifeste et renvoie de façon souvent limpide à la révolte des gilets jaunes. Yannick, le spectateur perturbateur vient de Melun (comme Eric Drouet), évoque ses conditions de vie difficiles (temps de transport, travail de nuit), sa quête d'un moment de bonheur (en assistant à un spectacle dont il a payé l'entrée et censé le divertir) et s'exprime dans un langage direct et imagé, quoique peu châtié. Il ne reçoit que très peu d'empathie que ce soit de la part du public (une belle collection de représentants de la bourgeoisie parisienne intra-muros : le vieux con, les deux jeunettes, l'agresseur sexuel en puissance décomplexé, les petits entrepreneurs) ou des acteurs (qui se considèrent comme faisant partie de l'élite culturelle, en dépit de la médiocrité insigne de la pièce qu'ils donnent en représentation). Et s'il parvient à créer un rapport de force en sa faveur, il ne reçoit de ses tentatives de dialogue que mépris, parfois amusé, et violence sociale.

Violence sociale qui s'exprimera avec beaucoup moins de détachement et de respect des conventions lorsque le rapport de force va fortuitement s'inverser. La brutalité dont font preuve les élites ou supposées telles est alors infiniment plus marquée que celle de Yannick, dont il s'avère qu'il ne cherche en définitive qu'un peu d'amour, au sens large, et de respect de la part de ses semblables. Et les dernières images du film vont parachever cette allégorie sociale qu'est, au fond, ce film. Dupieux, finalement, est très bon lorsqu'il se moque, férocement mais sans avoir l'air d'y toucher, de la bourgeoisie.

Marcus31
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le 17 sept. 2023

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Marcus31

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