C'est marrant, comment l'histoire parfois semble se répéter... Mais si, rappelez-vous : après la sortie en 1978 d'un film sur une célèbre icône culturelle américaine (et désormais mondiale) et à son succès conséquent, l'appât du gain des producteurs amena la conception d'une franchise avec deux ans plus tard une suite. Suite née d'une production oh combien chaotique entraînant le renvoi pur et simple de son réalisateur initial, Richard Donner, à la suite de divergences d'opinions. On prend un autre Richard, on lui fait retourner la plupart des scènes, et on sort un Superman 2 à l'esprit bien éloigné de son prédécesseur : humour lourdingue, failles scénaristiques à gogo, etc. A peine vingt-six ans plus tard, suite à la pression de nombreuses fans, la Warner autorisa Donner à remonter son film selon sa propre vision et à le sortir dans le même sillage qu'un très mésestimé Superman Returns. Cette nouvelle version, baptisée Superman 2 : The Richard Donner Cut, lavera pour beaucoup l'affront de son jet initial de 1980.
Pour Justice League, le constat est quasi semblable... à quelques différences près. La version de 2017, que personnellement je refuse d'attribuer à Zack Snyder car elle porte du début à la fin de ses deux heures la patte de Joss Whedon, avait laissé pas mal de monde sur sa faim. Pas infâme, mais tellement éloignée de l'esprit de Man of Steel et Batman v Superman : L'Aube de la justice auxquels elle devait faire suite, le résultat fut un métrage schizophrénique jonglant entre deux tons radicalement différents sans jamais savoir lequel adopter.
Et aujourd'hui, nanti d'une enveloppe de 70 millions de dollars, d'une liberté d'édition quasi totale, de hashtags encourageants dans la tweetosphère et (vraisemblablement) remis du deuil atroce qui l'a frappé voilà quatre ans, Zack Snyder repasse dans la salle de montage pour nous offrir cette nouvelle mouture de quatre heures (!). Pertinence de la démarche ? Le caca nerveux des fans pour avoir ce qu'ils veulent valait-il le coup encore une fois ? Si l'histoire semble se répéter, c'est encore et toujours Warner qui paye les répétitions (tout en sachant la démarche potentiellement bankable, n'en déplaise à certains : même pour les VOD, les spectateurs payent !). Même plus de trente ans plus tard, la mentalité des producteurs et leur perception des attentes des spectateurs n'ont hélas vraisemblablement pas évolué d'un iota. Navrant..
Toutefois, même moi qui ai toujours encouragé les producteurs à donner aux fans non pas des films qu'ils veulent mais des films dont ils ont besoin, je n'ai pu m'empêcher de respirer un franc soulagement face à cette Snyder Cut.
Finie l'intrigue rushée et les personnages secondaires mal développés tels que Mera ou le commissaire Gordon ; finie la moustache gommée à la truelle d'effets numériques de Henry Cavill et son effet "vallée dérangeante" ; oublié le design trop lambda et l'absence de réel dessein de Steppenwolf ; terminées les blagues poussives à la limite du supportable de certains protagonistes (n'est-ce pas, Flash ?) : certes ces 240 minutes pourront paraître longues à la plupart des spectateurs, mais en ce qui me concerne le découpage du film en chapitres, le rythme mieux maitrisée de l'intrigue principale comme celui des secondaires, le retour de Junkie XL à la BO (je n'ai jamais compris la démarche de Whedon de l'avoir viré pour le remplacer par un Danny Elfman à la gloire malheureusement révolue dans la composition de thèmes musicaux mémorables) et surtout le retour de l'ambiance "snyderesque" qui faisait cruellement défaut à la Whedon Cut (quitte à parfois donner à son film un effet désagréable de Marvel mal écrit et trop édulcoré) m'ont fait passé un grand moment de cinéma comme je n'en espérais plus de la part du DCEU.
Après un Shazam! sympa mais lorgnant un peu trop sur le délire d'un Deadpool de la concurrence, un Birds of Prey oubliable et un Wonder Woman 1984 que je n'ai pas encore vu à l'heure ou je rédige ces lignes mais pour lequel TOUS les avis autour de moi semblent unanimes, je n'y croyais plus : batailles désormais réellement épiques, choix musicaux pertinents (parfois même touchants, le deuil de Snyder semblant avoir influencer la playlist du film ; quitte à appuyer la mélancolie de certains passages), écriture des personnages mieux maîtrisée (Cyborg en tête) magnifiant le jeu des acteurs, touches humoristiques distillées bien plus proprement : c'est officiel, l'affront du film de 2017 est pour ma part lavé ; la Justice League a enfin une place de choix au cinéma.
On pourra bien évidemment pester sur le fait que, en dépit de l'incursion de nouveaux personnages (des secondaires comme Iris West ou le Limier martien aux plus scénaristiquement conséquents, Darkseid en tête ; sans compter des caméos agréables tels que les Lanterns ou l'atlante Vulko), a trame du film est quasi identique à celle de son homologue d'il y a quatre ans. Et attendu que le but de Snyder ici était selon ses propres dires de nous livrer une conclusion à sa série de films DC, force est de constater que, sans la révéler, la fin appelle inévitablement une suite (plusieurs, même). D'aucun reprocheront à juste titre à l'épilogue de mixer les pistes de lecture initiées précédemment en leur donnant un aspect de cul de sac scénaristique forcé, voire de séquelle que l'on ne verra probablement pas. Ne jamais dire jamais, bien sûr. Les hashtags capricieux des fans réussiront-ils de nouveau à avoir raison des exécutifs de la Warner ? Seul l'avenir le dira..
D'autres défauts ? Bien sûr ce Zack Snyder's Justice League en a. Vendu comme un film à la demande sur HBO Max, le parti pris de le sortir au format 1:33 aura tendance à desservir le spectaculaire de certaines scènes d'action en réduisant bien trop le champ de vision du spectateur. Dommage.
Autre point faible, dans la zone spoiler :
Le caméo de Jared Leto en Joker est certes plaisant, mais dur de passer dans ce rôle après la prestation d'un Joaquin Phoenix. Son face à face avec Batman est tout de même croustillant ; en même temps, c'était peu difficile de lui donner une meilleure écriture que pour Suicide Squad. David Ayer, "Fuck Marvel !", tout ça... Bref.
En ces temps difficiles, où les cinémas sont contraints de garder porte close, cette Snyder Cut constitue une réelle bouffée d'air frais au cinéphile féru de comics et de super-héros que je suis.
A voir !