Veni vidi ça va, mais vici c’est un peu prématuré

Après avoir rencontré un début prometteur, tant sur le plan critique que commercial, avec le premier volet de la saga Assassin’s Creed, Patrice Désilets poursuit sur sa lancée avec la suite directe Assassin’s Creed 2, alors que la franchise avait déjà eu le temps d’être bien terni par la sortie d’épisodes portables de piètre qualité sur lesquels je ne m’épancherai pas parce que j’ai mieux à faire de mon temps. C’est le premier grand succès commercial et critique pour la franchise, à jamais l’un des titres les plus appréciés de la saga, l’un des principaux moteurs au développement d’Ubisoft à l’entrée des années 2010 et l’un des AAA ayant le plus influencé la concurrence en monde ouvert les années suivantes, et pour toutes ces raisons j’attendais du jeu plus qu’un divertissement parmi d’autres.


Pour information, j’ai fait le jeu dans sa version PC, sorti quelques mois après les versions consoles Xbox 360 et Playstation 3, assez proches techniquement. La critique étant longue, je vous propose l’écoute de cette très belle reprise du thème d’Ezio pendant la lecture.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆



Comme toute suite directe à si peu d’années d’intervalles, j’attendais une évolution graphique satisfaisante mais relativement légère, ce qui est bien le cas. Une première évolution se voit dans les cinématiques avec davantage de mise en scène, même pour les plus simples dialogues, des animations faciales a minima travaillées… Et cette petite mais sympathique évolution technique se retrouve un peu partout avec de beaux efforts qui ont été faits ici ou là pour renforcer les sensations de vertige de par des ascensions repoussant toujours plus les limites de verticalité pour s’inscrire parmi ce qui se fait de mieux sur toute sa génération, l’immersion par la réalisation comme en ayant rendu l’aperçu de la construction du village par une maquette en jeu consulté par le personnage...


Des détails techniques sont ainsi plus poussés, notamment ceux en lien avec les environnements retenus, comme la qualité des reflets sur les magnifiques surfaces d’eau alors que nous sommes amenés à parcourir Venise, ce qui démontre une certaine concordance entre les choix esthétiques et les points techniques les plus travaillés. Il reste tout de même des petits accrocs techniques, même dans les meilleures conditions matérielles possibles, comme les ombres ultra-alliasées par moment, les saccades lors de la navigation sur la carte, des modèles 3D s’entrechoquant ou se traversant de façon étrange, un clipping bien apparent lors des chevauchées au grand galop… beaucoup de petits défauts déjà présents dans le premier épisode mais encore une fois c’est tout un ensemble de compromis très acceptable pour l’époque.


Le contexte historique de la renaissance italienne est bien sûr l’occasion pour le titre de faire étalage de sa maestria visuelle à travers la méticuleuse reconstitution de monuments historiques des plus sublimes, même au prix de quelques anachronismes aux yeux des historiens les plus rigoureux, peu importe en ce qui me concerne. Le cycle jour/nuit permet de plus de bien varier les ambiances visuelles de ces magnifiques environnements, je n’ai vraiment rien à redire de ce côté-là, ça a toujours été la force principale d’Assassin’s Creed 1 à mes yeux et ça l’est encore une fois dans cette suite qui en reproduit la qualité sans tomber dans la redite facile.


Quant au chara-design, les options de personnalisation de la tenue permettent de s’approprier a minima l’allure de notre personnage tout en profitant quoi qu’il arrive d’une tenue magnifiquement stylée. J’accorderai une mention spéciale à la forme ultime de notre allure, parmi les plus classes de sa génération alors que le précédent opus avait placé haut la barre en la matière, ce qui n’est vraiment pas anodin dans un jeu à la troisième personne où l’on voit si souvent notre personnage. Et cette fois-ci, le chara-design sera plus évolué et marquant pour les autres personnages que nous rencontrerons, sans non plus être un sans faute c’est là encore un bon point pour le titre.


Jesper Kyd est de nouveau à la composition et ça se sent car là-aussi Assassin’s Creed 2 poursuit la logique de son précédent opus en faisant mieux avec encore plus de musiques entraînantes soutenues par des chœurs intensifiant l’action ou sublimant la contemplation. Par ailleurs, la possibilité native de jouer avec les voix italiennes est très plaisante pour être raccord avec l’univers du jeu, ce fut d’ailleurs mon choix. Il est seulement dommage de ne pas pouvoir mixer voix anglaises dans le présent et voix italiennes dans le passé, ce qui aurait portant été le plus logique, mais le présent étant tellement en retrait que ça n’en est pas un problème. Si jusque-là, Assassin’s Creed 2 ne fait que briller, je vais désormais être obligé de nuancer mon enthousiasme.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆



Reprenant largement les solides bases de gameplay de son prédécesseur, Assassin’s Creed 2 se présente comme une aventure toujours plus plaisante manette en mains tout en alternant entre des phases de Beat Them, d’infiltration et de parkours en davantage de déclinaisons. Les types de missions secondaires sont ainsi plus nombreux même si le sentiment de répétitivité finira forcément par apparaître aux plus complétionnistes d’entre nous, quoique pas tant que ça. C’est l’un des points sur lesquels Assassin’s Creed 2 va être très copié par la concurrence, il introduit une telle multitude de marqueurs de progression distincts qu’il tend à rendre son expérience assez addictive malgré l’analyse un peu froide que l’on peut faire de sa proposition fondamentalement répétitive.


Par exemple, le village que l’on peut construire étape par étape apporte énormément à ce sentiment addictif de la progression en ajoutant un aspect gestion de ressources à celles que l’on peut obtenir par l’accomplissement de toutes ces petites quêtes secondaires, voire tertiaires. Le seul bémol c’est que d’un côté le jeu encourage à se coltiner un contenu sans grand intérêt ludique pour les récompenses qui en résultent, d’un autre côté ces récompenses ne changent pas grand-chose au final à cette expérience de jeu très grand public et donc peu exigeante pour l’essentiel. Les phases de combat sont notamment d’une grande facilité, plus que par le passé avec des mouvements ultra-efficaces, faciles à faire et polyvalents disponibles très tôt dans le jeu. Là où elles ont progressé c’est dans la diversité des armes à brandir et dans leurs différentes statistiques, pour un gameplay plus riche, peut-être pas plus technique ou original mais plus riche, à l’image du titre.


Le level-design peut être un peu plus élaboré que par le passé avec des phases de parkours / énigmes comprenant par moment raccourcis à débloquer plutôt que de vulgaires checkpoints, des mouvements inédits intéressants, un dynamisme plus poussé... mais ces phases de parkours peuvent encore manquer de clarté. Il m’est par exemple arrivé d’être bloqué le plus bêtement du monde une dizaine de minutes dans la quête principale parce que la seule et unique interaction possible pour poursuivre une ascension avait buggé à mon premier essai et du coup j’ai pensé que ce n’était pas ça et j’ai recherché plein d’interactions impossibles dans le décor. C’est ainsi que je découvre que tout n’est que script, que le sentiment grisant de liberté d’appréhender l’environnement avec fluidité et aisance disparaît, passant à travers des cordes plutôt que de les saisir parce que cette interaction a pu être prévue ailleurs mais pas ici, faisant un saut si petit que je me vautre 2 étages plus bas parce que là la contextualisation n’existait pas pour me faire faire des sauts de plus grande ampleur… Ça marche bien le plus souvent, mais quand ça rate ça fait tâche, surtout quand le jeu s’essaie de mêler parkours à un sentiment d’urgence parfaitement factice.


Si l’on veut continuer à chercher tout ce qui peut démontrer une maîtrise du gameplay que l’on ne peut pas vraiment qualifier d’absolu ou même d’abouti, ce n’est pas ce qui manque :
- les points de spawn et de respawn peuvent être assez maladroits dans leur emplacement comme juste à côté de gardes donnant l’alerte très vite alors qu’on est supposément dans une phase d’exploration plutôt relax,
- des actions contextuelles peuvent ne pas marcher aussi bien et vite que prévu, ce qui peut causer plein de petites frustrations passagères,
- l’IA alliée que l’on doit escorter peut se planter dans ses phases de parkours et se tuer bêtement, notamment en découvrant à leurs dépends que ce n’est pas facile de nager quand on ne s’appelle pas Ezio,
- les animations lors des finish moves peuvent déplacer notre personnage automatiquement et le faire chuter si on l’a déclenché trop proche d’un trou ou si le moteur physique se plante sur une collision hasardeuse,
- des bugs assez rares mais suffisamment existants pour être mentionnés peuvent nous bloquer dans le décor et nous forcer à recharger la sauvegarde pour reprendre la progression…


Comme pour le premier volet, les phases de préparation aux assassinats ou combats à grande échelle sont souvent sans grande ambition ludique. Parfois, on peut profiter de pleins d’options pour terminer une mission d’assassinat mais toutes sans intérêt car courir jusqu’à la cible, l’assassiner d’un coup de lame secrète, larguer une bombe fumigène et courir suffit largement à remplir la mission dans les meilleures conditions possibles. Parfois, on peut anticiper un combat difficile, bien le préparer (recrutement d’un groupe de combattants, analyse du level-design pour une approche permettant le repli facile...) jusqu’au déclenchement d’une cinématique qui de retour en jeu nous téléporte rendant notre minutieuse préparation parfaitement inutile, d’autant qu’on s’en sortira très bien quasi-systématiquement sans préparation particulière.


Mais le jeu parviendra tout de même à exceller dans sa gestion du challenge et sa manière de mêler ses genres sur toute la séquence 13, bien plus corsé et technique, séquence 13 qui était à l’origine un DLC payant. Comme quoi, de ses mécaniques de jeu imparfaites, les développeurs savaient en tirer beaucoup et Ubisoft a choisi de retirer ça du jeu de base pour le vendre séparément. Ça se faisait beaucoup à l’époque, et je peux le pardonner si ce contenu ne s’impose pas, mais là ce qui m’énerve surtout c’est que ce challenge m’a manqué tout du long du jeu, j’aurais pu comprendre qu’ils n’y recoure qu’en fin de jeu et même de façon facultative pour respecter leur orientation grand public, mais de façon payante pour un jeu qui se vendait au prix fort c’est punissable pour moi.


J’ai beaucoup insisté sur mes reproches personnels, mais c’est plus pour faire comprendre pourquoi je ne porte pas le gameplay du titre en si haute estime quand bien même le jeu est agréable à prendre en main, généreux dans son contenu et particulièrement efficace pour motiver à y jouer encore et encore sans tomber dans l’ennui. C’est un peu un paradoxe mais malgré tout ce que j’ai dit de négatif j’ai passé un bon moment sur ce jeu, c’est juste que pour moi un jeu à l’aura si développé me fait placer mes critères hauts et j’explique pourquoi la sous-note assez modeste, qui malheureusement se répète pour scénario et narration.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆



On voit d’abord et surtout à travers cet épisode comment la dualité entre l’ordre et la liberté peut être réinterprétée à différents moments de l’Histoire, puisque c’est la première fois dans la série qu’on la retrouve ailleurs que dans les contextes de la troisième croisade, théâtre des opérations du premier épisode. Cet aspect-là est assez réussi même si ce n’est pas une période de l’Histoire très référencée dans la culture populaire. Au contraire, j’y vois même une force car la période de la renaissance dans laquelle nous évoluons ici a déjà le mérite d’être une ère peu représentée dans le média vidéoludique et ce foyer culturel et artistique paraît très approprié pour l’aspect encyclopédique du titre.


Le nouveau protagoniste est présenté comme séducteur et amusant, bien loin de la présentation glaciale de notre premier assassin incarné, même si la facilité scénaristique fera que notre nouveau héros s’habituera très vite aux meurtres de sang-froid dès que les enjeux monteront d’un cran. Il deviendra même très soudainement un assoiffé de sang et de vengeance mais qui sait rester raisonnable et rentrer dans le rang, un choix un peu facile et même bancal par moment pour les plus exigeants. De toute manière, le côté enjôleur du protagoniste n’apporte pas grand-chose de plus que quelques instants comiques assez basiques avec quelques phases de drague gentiment aguicheuses, ni subversif, ni hilarant.


Rendre les mécaniques de jeu cohérentes avec l’univers du récit reste bien inscrit dans l’état d’esprit de cet épisode. Dans la suite logique de l’utilisation de l’animus, on a ainsi droit à des explications intra-diégétiques pour les nouvelles possibilités de jeu, c’est toujours bon à prendre, gagner en notoriété dans une région diminue l’agressivité des gardes du coin à notre égard... De plus, une belle ambition narrative était d’étendre le récit sur une temporalité assez longue, mais l’idée n’est pas très exploitée au final. Déjà, personnellement, et je sais que je ne suis pas le seul, je n’ai que peu perçu les années passées et j’ai été très surpris quand au détour d’un dialogue Ezio nous rappelle que 10 ans se sont écoulés depuis le début, il manque une évolution nette de l’univers lors des avancées dans le temps. Ensuite, je ne pense pas que cette longue temporalité apporte quelque-chose de réellement intéressant au récit tel qu’il est développé.


L’un de points forts de ce récit tout de même c’est des personnages secondaires qui sont assez réussis dans leur genre respectif, aussi bien en tant que personnages fictifs que réinterprétations de personnages historiques, avec l’ingénieux et bon ami Leonard de Vinci, la charmante et combative Rosa, la séduisante et puissante Catherine Sforza… Mais si l’antagoniste a droit à ses quelques scènes bien brutales pour qu’on l’ait l’envie de guider notre lame vers ce qui lui sert de cœur l’intensité dramatique est souvent très relative, assez peu mise en avant dans les dialogues ou pas bien longtemps, et avec un final un peu piteux, sans même parler de tous les antagonistes secondaires oubliables que nous seront amenés à faire reposer en paix.


Quelques raccourcis scénaristiques grossiers peuvent un peu faire tâche, comme quand on un gentilhomme nous explique qu’on est un peu trop prolo pour se rendre dans un lieu de la quête principale et c’est là qu’au même moment et par le plus grand des hasards, une noble influente appelle à l’aide alors que personne ne semble intéressé par l’aider, elle tombe sous le charme du preux chevalier que nous sommes ayant donné 3 coups de rame pour la rejoindre et nous débloque la situation. Je n’exagère rien, l’enchaînement de ces séquences se fait vraiment sans la moindre subtilité, il y avait bien mieux à faire sur ce type de passage et ça montre bien une ambition scénaristique franchement pas omniprésente.


La fin a le mérite de nous bousculer, de faire se rapprocher les intrigues du premier épisode et de celui-ci mais c’est encore une fin en queue de poisson décevante à plus d’un titre :


Sans même parler du très bancal combat de boss final introduisant l’épilogue, aucun twist sur la mort des parents d’Ezio ne remet en cause quoique ce soit, aucun allié ou ennemi ne se révèle être différent de nos perceptions jusqu’ici… Tout repose sur ce personnage de Minerva qui vient à s’adresser à Desmond contrôlant Ezio, un effet assimilé à un petit coup au 4ème mur des plus intéressants, surprenants et intenses, l’espace d’un très court instant. En dehors de ça, l’intrigue principale démarrée dans cet épisode n’a quasiment pas avancé, on a simplement achevé une quête de vengeance banale, l’intrigue principale de Desmond a très peu avancé pour finalement partir dans cette direction très curieuse de fin du monde imminente que Desmond doit stopper par son usage de l’animus. Décevant.



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



Assassin’s Creed 2 parvient sans nul doute à enrichir et à embellir la proposition initiale de sa saga mais en ce qui me concerne ça ne sera pas une évolution suffisante pour pleinement me convaincre d’en faire un coup de cœur ou un excellent jeu. Tout d’abord, ces améliorations ne sont pas si transcendantes que ça si l’on excepte ce bilan technique et esthétique de très haute volée, et ce n’est pas rien. Ensuite, l’orientation grand public réduit trop le challenge pour moi pour un gameplay qui n’est pas encore pleinement abouti à mon sens. Enfin, avoir séparé une grande partie du contenu scénaristique et ludique qui m’aura le plus intéressé en DLC payant me frustre beaucoup et obscurcit un peu mon jugement final.

damon8671
7
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le 2 mars 2021

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