Alors que la scène indépendante de la fin des années 2010 foisonne de ce que j’aime appeler des ARPG 2D et assimilés tous plus intéressants les uns que les autres, Dead Cells a su y trouver une place de choix en 2018, acclamé par la critique, en France comme à l’international. Ce fut une vraie surprise pour le petit studio français Motion Twin qui en est à l’origine, spécialisé dans les jeux web et mobile depuis les années 2000 comprenant son lot de terriblement classiques quizz de culture générale et autres match tree. Si quelques-uns de leurs jeux sont mieux réputés que d’autres, aucun ne laissait présager un succès tel que celui de Dead Cells, qui à son tout début de développement devait d’ailleurs être un tower defense en free-to-play. Je vous propose l’écoute du thème Prisoner's Awakening pour découvrir de ce que j’en ai pensé.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆



Pas forcément adepte du concept du rogue-like effaçant une bonne partie de notre progression à chaque échec, en nous faisant revenir au début du jeu, et préférant la génération aléatoire au sur mesure, il n’était vraiment pas gagné d’avance que j’adhère à cette proposition vidéoludique. Pourtant, une grande souplesse dans le maniement de cet Action-RPG 2D m’a procuré un plaisir de jeu immédiat et qui ne m’a jamais lâché de toute mon expérience de jeu. Ce n’est pas seulement dû à la vitesse de déplacement du personnage ou au système d’esquive offrant une frame d’invincibilité, mais à un ensemble de mécaniques en accord avec cette philosophie.


La possibilité d’annuler n’importe quelle animation d’attaque au profit d’une esquive de dernière minute, les combos pouvant parfois être réalisés malgré un léger mouvement ou esquive entre deux attaques du combo, la possibilité de réorienter la direction d’une attaque pendant une animation un peu longue, les items à collecter qui sont attirés automatiquement vers nous, la possibilité de passer les obstacles avec force et vitesse… constituent cette souplesse si appréciable. Malheureusement, à haut niveau, la nervosité de l’action peut être si extrême qu’elle peut en devenir difficilement lisible, le boss final en étant le summum, mais c’est peu représentatif de l’ensemble du jeu qui offre bien des manières de contourner le problème.


Il y a aussi un petit point du maniement que je n’apprécie pas trop tant que j’y suis : l’automatisation des déplacements le long d’un mur après un saut, une amélioration que l’on débloque au bout d’un moment et qui peut facilement s’enclencher sans qu’on le veuille, ce qui peut gêner en plein combat. En dehors de cette très légère fausse note, le maniement est irréprochable même si sa nervosité n’est clairement pas pour tout le monde, car si l’on est très dynamique, les ennemis le sont aussi également pour nous faire face et même de plus en plus au fil des niveaux. En effet, la courbe de difficulté est très bien étudiée pour que le jeu soit de plus en plus difficile au fil du run et que des chemins alternatifs plus gratifiants en récompenses mais plus dangereux soient proposés.


Bien que la courbe de difficulté soit progressive et cohérente, Dead Cells se réclame des jeux pour hardcore gamers à bien des égards : les meilleures récompenses sont réservées au speed run ou au no damage par segment de jeu, l’absence de frame d’invincibilité après avoir été frappé fait qu’on peut très vite perdre une grande partie de notre précieuse barre de vie, les esquives ne peuvent s’enchaîner sans un petit temps de pause entre 2 nous laissant complètement vulnérables, les meilleures améliorations offensives ne sont possibles qu’au prix de terribles malus défensifs… une philosophie qui s’explique par la maniement évoqué plus tôt qui doit permettre de se sortir de toutes les situations par la réactivité de nos actions.


Sébastien Bénard, lead-whatever comme il se décrit sur le titre, explique cette philosophie ainsi :



Le sentiment de justice est primordial dans les jeux à mort permanente. Quand tu meurs, tu dois toujours trouver ça juste, en sachant comment tu aurais pu t’en sortir plutôt qu’en blâmant le jeu qui ne te permettait pas d’être aussi réactif que tu l’aurais voulu.



Je suis arrivé à la fin du jeu en mode normal à la dixième heure de jeu, en ayant pas encore vu presque la moitié des boss et un tiers des niveaux jouables, et en ayant quasiment rien débloqué sur l’ensemble du contenu, et c’est normal. Dead Cells est pensé pour être refait encore et encore en difficulté supérieure en cherchant à découvrir tout son contenu au fur et à mesure. Au-delà d’un rééquilibrage statistique largement plus punitif pour le joueur, les modes de difficulté supérieures sont assez bien fichus, ils raréfient les ressources de soin, apportent des ennemis inédits, proposent plus de défis annexes très bien récompensés…


Les différentes synergies possibles entre les équipements, les mutations, les modificateurs… sont très nombreuses et permettent des styles de jeu très différents d’une run à une autre, ayant profité des rééquilibrages progressifs au fil d’une longue période d’accès anticipé. Il y a bien quelques lacunes dans l’ergonomie avec des descriptions d’effets peu détaillées et des mécaniques pas très bien expliquées quand on veut vraiment tout comprendre et optimiser au mieux notre style de jeu, des recherches approfondies sont utiles mais pas absolument nécessaires non plus, l’essentiel est clair.


Le level-design généré procéduralement est quant à lui plutôt fonctionnel en ayant une base fixe avec un agencement des pièces laissé un peu au hasard mais pas trop, faisant que les runs dans une même zone ne se ressemblent pas tout à fait mais c’est surtout la présence de chemins alternatifs et les très nombreuses possibilités de jeu qui trompent l’ennui. On retrouve tout de même quelques passages que j’ai sentis peu inspirés avec des impasses pas bien utiles, des secrets un peu trop proches les uns des autres… ce que je pense indissociable de la génération procédurale et une petite limite à la qualité du level-design.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆



Arborant un style graphique plutôt en pixel-art, Dead Cells se dote d’une allure rétro à laquelle je n’adhère que très moyennement en principe, jusqu’à sa police d’écriture que l’on peut heureusement lisser dans les options. Dans les faits, la qualité du rendu visuel peut varier considérablement d’un niveau à un autre à mon sens. Les égouts toxiques se traduiront par des décors pauvres et sombres sur un arrière-plan verdâtre alors que la salle de l’horloge superposera des rouages en mouvement telles des ombres sur un arrière-plan rougeoyant du plus bel effet. La concurrence est si grande dans ce domaine que je trouve Dead Cells moins séduisant visuellement que ses plus illustres compères, mais c’est assez subjectif et ça ne l’empêche donc pas d’avoir quelques environnements qui m’ont bien plus.


Ce pixel-art a en revanche l’intérêt d’être peu gourmand techniquement et ainsi de s’accompagner de quelques forces techniques appréciables : les téléportations d’un lieu à un autre se font sans temps de chargement, pas mal de petits détails donnent vie aux décors avec des chauves-souris qui prennent leur envol à notre approche, plein de petits effets visuels peuvent accompagner les attaques pour un peu plus de feed-back… même si on est en 2017, rien d’extra-ordinaire à ce niveau-là, ça fait simplement le travail à mon sens, ni plus, ni moins.


Entre ses différentes versions depuis son early access et ses différentes versions consoles, il y a quelques soucis de fluidité qui se sont réglés avec le temps, personnellement sur la version définitive sur PC je n’ai eu des lags que sur la map, jamais en jeu, donc rien de problématique. Je n’en tiendrais donc pas rigueur, puisque je me base d’abord et avant tout sur ma propre expérience de jeu bien évidemment et que le support PC est vraiment le support originel du jeu. Néanmoins, j’ai été déçu d’apprendre que des soucis de fluidité en combat assez prononcés avaient pu être rencontrés notamment sur les consoles où le jeu a été vendu au plus haut prix dans une version dite finale, ça fait un peu tâche.


La direction artistique très largement inspirée de Castlevania aux références plus qu’explicites a vraiment ses fulgurances mais le problème c’est que dès qu’il sort de ces références, il est incroyablement générique et même quelconque à mon goût. Le bestiaire manque cruellement d’identité visuelle et d’inspiration (zombis, squelettes, chauve-souris, ninjas…), même au niveau des boss, il n’y a rien de remarquable quant à leur design, et pourtant ils sont assez peu nombreux. L’autre problème artistique est lié à la génération procédurale du level-design, les placements des ennemis et des éléments de décor peinent nécessairement à respecter une logique artistique forte, on sent bien qu’il peuvent être mélangés un peu au hasard et ça en limite le potentiel. Certaines zones y échappent puisqu’elles sont nécessairement fixes, mais ce sont plus des exceptions tant la majeure partie de l’environnement est procédurale.


L’OST, composée par Yoann Laulan, excelle dans les registres entraînants et épiques tout en étant assez efficace dans la mélancolie. La seule écoute de Prisonners’s Awakening, thème du premier niveau, suffisait à me motiver à recommencer une run tellement la musique est communicative en énergie, et autant dire que ce n’est pas de trop pour ce jeu. Elle s’adapte aussi assez bien avec les passages dans les menus ou à l’approche de certains zones ou ennemis réclamant plus de calme ou d’énergie. Pour en finir sur la partie sonore, le sound-design est tout particulièrement efficace en terme de feed-back, on ressent l’impact de nos coups les plus puissants, on sourit aux petits sons quand on collecte des récompenses… c’est toujours bon à prendre.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆



Les ambitions scénaristiques et narratives de Dead Cells sont quasiment nulles, néanmoins le jeu a bien un contexte scénaristique, des dialogues, un petit univers… que je pense être sujet à critique, quand bien même c’est sans doute pas le plus important le concernant. Une première bonne volonté c’est que le principe premier du jeu qui est la résurrection de notre personnage est intradiégétique. Même si le début est un peu maladroit à mon sens, comme si le jeu faisait comme si notre premier run était déjà le second en nous évoquant notre première mort que nous joueur n’avons pas encore vécu, ça reste une bonne idée que d’avoir inclus le concept dans le scénario.


De la même manière, c’est plutôt bien vu pour la fin, sans pousser la logique jusqu’au bout :


Nous faire reprendre le jeu du début malgré notre victoire finale au sens ludique comme scénaristique est nécessairement frustrant mais correspond à la philosophie-même du jeu qui veut que l’on reprenne l’aventure sans cesse, même après en avoir vu la fin. Ça ne justifie pas tout non plus, le respawn des ennemis et de certains boss ne trouvent pas d’explications scénaristiques, mais ce n’est pas très grave. Le principe du jeu et sa philosophie, à son début comme à sa fin, sont exploités par les quelques idées scénaristiques mises en avant.


Les salles annexes développant l’univers du titre ont été ajoutés au fil du développement et ça se sent que ça n’a clairement pas été très travaillé. La lecture des quelques informations qui s’y trouvent n’a vraiment rien de palpitant la plupart du temps parce que ça n’a pas été pensé en amont et que ça n’a donc généralement que peu d’intérêt. À ce compte-là, j’aurais autant préféré qu’ils n’en fassent rien et qu’ils assument pleinement leur manque d’ambition scénaristique au-delà de justifier la mécanique de résurrection évoquée plus tôt, ça éviterait de perturber le rythme frénétique de l’action pour si peu.


Par ailleurs, le jeu brise régulièrement le quatrième mur à l’occasion de petites blagues diverses et variées, de l’autodérision sur certaines incohérences cocasses, des descriptions d’objets humoristiques… chacun est juge, personnellement je trouve ça plus grossier que drôle. De plus, ce n’est pas un ton parfaitement constant. Des fois, on va tomber sur un cadavre et la réaction de notre personnage sera de donner un coup de pied dedans en disant peu importe, d’autres fois il se penchera dessus d’un air qui semble presque solennel et respectueux, c’est assez dissonant tout de même.



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



Dead Cells peut compter sur un système de combat dynamique très plaisant en combinaison d’un système de jeu très riche en possibilités et d’un parcours possiblement différent du précédant par ses niveaux et boss alternatifs, c’est indéniable et ce qui fait que j’y ai passé un certain temps. J’ai tout de même des réserves personnelles sur son concept-même de génération procédurale, sur sa direction artistique générale en pixel-art, sur ses faibles et maladroites ambitions scénaristiques… mais je comprends tout à fait son succès, je suis bien content qu’un petit studio français l’est connu et je m’y suis beaucoup amusé, ce qui est l’essentiel.

damon8671
7
Écrit par

Créée

le 10 mai 2020

Critique lue 349 fois

3 j'aime

damon8671

Écrit par

Critique lue 349 fois

3

D'autres avis sur Dead Cells

Dead Cells
LeMalin
8

Le roi est mort, vive le roi

Dans l’échelle sociale de l’île, il y a les rats et les chiens et, juste en dessous, les prisonniers. Une épée mal aiguisée, une planche de bois pour bouclier, c’est avec un équipement rudimentaire...

le 27 août 2018

38 j'aime

6

Dead Cells
Aelphasy
8

Critique qui parle de flan, d'un ouzbekistanais et des sorties de fin d'année

Attention à Dead Cells. Attention, parce qu'il incarne parfaitement l'aliénation marchande induite par le capital : celle de la productivité sans fin qui passe par la répétition névrotique d'une...

le 13 août 2018

27 j'aime

19

Dead Cells
lhomme-grenouille
4

C’est moi ou ce jeu nous prend pour des pigeons ?! ;-)

Je pense qu’on peut le dire sans trop se tromper : « Dead Cells » c’est la petite révélation de 2017-2018. Un jeu que peu de gens avaient vu venir, qui plus est de la part d’un studio que peu de gens...

le 23 août 2019

17 j'aime

22

Du même critique

Mass Effect
damon8671
8

Un début certes imparfait mais à l'univers incroyablement prometteur

Après le formidable succès de KOTOR dont il fut game-director, Casey Hudson veut repartir dans l’espace et répéter les grandes qualités des meilleures productions Bioware déjà existantes mais en...

le 24 août 2013

35 j'aime

11

The Thing
damon8671
9

Matters of trust

Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des...

le 28 oct. 2023

25 j'aime

3

Super Mario Sunshine
damon8671
8

Ambiance prononcée, gameplay riche et original & réalisation bien vieillissante

J'ai joué à tous les Mario 3D (parce que je les distingue véritablement des Mario 2D) et Super Mario Sunshine est mon préféré parmi ceux-ci, ce qui n'est quand même pas rien vu l'excellence de la...

le 22 oct. 2013

23 j'aime

7