Il est naturel que Death Stranding divise autant. Car outre la proposition de gameplay si radicale, le jeu fait également office de thèse philosophique dans laquelle Hideo Kojima expose ses idées bien arrêtées sur notre société et son avenir. D'abord sur le plan sociétal: il est aisé au premier abord de considérer que le système de like est une manière de critiquer l'impact des réseaux sociaux sur nos vies, nous qui sommes à la recherche du moindre j'aime comme autant de piqures pour raviver notre ego. Ces mêmes réseaux sociaux qui nous ont divisé en diverses communautés par le biais de bulles de filtre (théorisées par Eli Pariser), de manière inconsciente donc, mais aussi conscientes, grâce aux chambres d'écho. Ces communautés de gens qui pensent exactement la même chose, trainant tellement entre eux qu'ils finissent par croire que tout le monde a le même sens commun qu'eux-mêmes, si bien que les communautés aux visions différentes ne se parlent plus, ou quand elles le font, c'est pour se taper dessus. Cette société divisée en fait en micro-sociétés quasiment détentrices d'une vérité relative à chacune, Kojima n'en veut pas. Car il imagine que des choses nous dépassent dans ce monde post-apocalyptique. Et que le réseau, ce qui connecte les gens, ne devrait pas servir à nous diviser, mais à nous rassembler. C'est ainsi que le système de like devient non pas une compétition, mais un moyen de remercier les efforts de chacun pour faciliter les transports de marchandises, de la manière la plus pure et naïve qui soit, et le réseau chiral, sorte de Facebook ou Twitter associé à un Wikipédia géant, un moyen de connecter tout le monde pour partager les savoirs, les connaissances de tout un chacun au sein d'une entreprise qui nous dépasse individuellement et communautairement : celle de l'humanité toute entière, oeuvrant ici à la reconstruction des Etats-Unis, qui sont divisés en communauté parfois irréconciliables (le cadre spatial des USA n'est d'ailleurs pas anodin, puisqu'il n'est pas sans rappeler une certaine réalité). Alors non, Kojima ne critique pas les réseaux sociaux, il tend même à les encenser. Il conçoit en réalité une alternative quelque peu naïve mais complètement salutaire de les utiliser pour mieux nous rassembler face à ce qui est plus grand que nous.
Et ce dernier point prend ici la forme du Death Stranding, un évènement catastrophique qui a donné lieu à l'apparition d'une frontière désormais poreuse entre la vie et la mort. Et c'est là qu'intervient la métaphysique de Kojima: les vivants traversent le monde des morts, tandis que les morts, sont "échoués" dans le monde des vivants. Entre les deux, il y a la "Grève" cet espace inconnu encore à appréhender, une sorte de Purgatoire entre les abysses et le monde que nous connaissons. C'est là que Kojima nous parle de notre futur, qui se situera entre le changement climatique ravageur (le Death Stranding qui a entrainé de nombreuses morts, et les précipitations qui font vieillir prématurément) l'avancée de l'IA (les imprimantes chirales, qui permettent de créer une multitude d'objets à partir d'un réseau à très haut débit et les bots de livraison), mais aussi l'arrivée proche du transhumanisme. Car finalement, ce qui dans le jeu semble le plus important, c'est cette porosité entre la vie et la mort. Entre Sam "Reedus" Porter, le rapatrié qui ne peut mourir (justifiant ainsi l'absence de game over) les Echoués qui restent en partie dans notre monde, mais aussi


les porteurs aggravés du Dooms comme Higgs qui peuvent contrôler les Echoués, donc la mort


, il semble qu'il y ait ici une forte propension de Kojima à annoncer deux mondes futurs: un monde réservé à certains, des élites capables de vaincre la mort, de vivre longtemps, brisant en partie les chaines du temps; un autre réservé à la plèbe, qui souffre des affres du changement climatique, reposant donc entièrement sur ces mêmes élites qui peuvent être aussi, à l'instar de Higgs, responsables de leur malheur. Là est enfin la dimension véritablement critique de l'oeuvre de Kojima: en abordant divers points qui sont plus proches du futur que de la science-fiction, Kojima met en garde contre les divisions, qu'elles soient de classes, de communautés, mais aussi liées aux aspirations personnelles. Il faut se méfier avant tout des gens avides de pouvoir, désireux de ne servir qu'eux-mêmes, car c'est par eux dans ce jeu, comme dans la réalité, que le malheur survient.

picsoule
10
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le 1 janv. 2020

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picsoule

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