Alors que dans le premier jeu, on ne pouvait incarner Alice que dans Wonderland, cette suite débute après une session de l’héroïne chez le psy, dont l’exploration psychologique donne une première séquence animée magnifique et un peu trash. Le psy ne semble pas très pro en tout cas, j’ai trouvé bizarre qu’il cherche à traiter ses patients en leur faisant oublier leur passé douloureux, mais en plus quand Alice quitte la pièce, le médecin accueille un autre gamin en lui disant "ton père a été pendu pour avoir tué ta mère, qui te battait… oublions ça !". Ah ouais, subtil le psy…
On découvre ensuite un Londres victorien tout grisâtre, mais dont j’ai trouvé la reconstitution charmante. Alice est censée partir chercher des pilules pour son traitement, mais à la place elle se met à suivre un chat blanc dans les ruelles. Elle est prise d’hallucinations tout d’un coup, et qui disparaissent tout aussi soudainement après. C’est une chose qu’on peut voir au cinéma, mais il y a une distance entre le spectateur et le personnage ; ici, je me suis senti concerné, car j’ai cru que cette hallucination allait plonger le joueur dans le monde de la folie.
Alice n’est plus internée à l’asile, mais elle a quand même toujours une VDM. Son notaire cherche à récupérer son héritage, son ancienne nourrice est devenue prostituée, et Alice est hébergée par une vieille femme qui l’exploite, lui demandant de l’argent contre son silence. Ainsi, Alice serait responsable de la mort de ses parents ? Ca reste flou, ce qui est assez déstabilisant, car jusque là tout indique que l’incendie qui a tué la famille Liddell n’était qu’un accident, mais si c’est le cas, pourquoi Alice cède à ce chantage ?
Poussée à bout, Alice se réfugie dans son monde imaginaire. Il n’est pas d’emblée aussi horrible et tordu que dans American McGee’s Alice ; dans ce dernier, l’héroïne avait quitté Wonderland en rétablissant son caractère merveilleux. On retrouve ainsi un Wonderland qui porte bien son nom, on s’émerveille devant le soin et l’inventivité apportés aux décors.
Quand Alice arrive, elle se retrouve dans un décor floral gigantesque, elle se retrouve comme une insecte au milieu de plantes géantes, et de jouets de taille démesurée, qui pourraient être des objets perdus dans un jardin. Et contrairement au premier jeu, cette fois, les champignons ne nous attaquent pas ! J’ai quand même eu de l’appréhension quand j’ai dû récupérer des objets sous des limaces, qui en fait… sont des éléments de décor immobiles.

Les environnements dans chaque chapitre sont à couper le souffle, mais il y en a un qui m’a marqué car tout en étant un décor de jeu de plateformes, il mêle avec brio toutes les formes d’art asiatiques : estampes, gravures de pièces de mahjong, jardin zen, … Il y a des personnages qui sont faits en origami, et des niveaux en 2D où l’on rentre dans des estampes.
Et il y a un autre chapitre dont on pourrait décrire les décors comme étant la représentation de l’idée d’enfance brisée. C’est brillant.
Je crois que si American McGee’s Alice est devenu un jeu culte, il n’a pas eu un si grand succès commercial à son époque, c’est pour ça que je trouve fabuleux qu’il ait pu y avoir un nouveau jeu Alice en HD. Le premier jeu disposait de décors géniaux, mais visuellement datés. Dans cette suite on garde ce qui faisait la qualité des décors du jeu précédent (on joue toujours sur les abymes profonds et les sommets qui font tourner la tête), mais là, ce qui fleurit dans l’imagination des graphistes peut se déployer dans toute sa splendeur.
Et très régulièrement, je laissais le personnage d’Alice sur place, pour juste faire tourner la caméra, et contempler.
Mais si le jeu est capable de merveilles, il est aussi capable d’horreurs ; il y a dans le chapitre sous-marin ce passage où l’on découvre pleins de cadavres d’hommes-poissons, dépecés, exposés comme dans l’antre d’un serial killer. Bon, par contre le jeu aurait carrément être plus gore (d’après ce que m’a dit hier une amie qui a eu la chance de recevoir en cadeau l’artbook du jeu, alors qu’elle n’y a même pas joué, des idées trop trashs ont été rejetées).

Alice Madness returns réutilise des éléments des livres de Lewis Carroll de façon encore plus intelligente qu’avant, pour créer un gameplay captivant. Une fois Alice baignée dans une potion, elle peut se rétrécir à volonté.
La poivrière de la Duchesse du livre, elle devient ici une arme qui sert à mitrailler du poivre.
On retrouve comme arme la fameuse "vorpal blade", mais dont l’animation des coups est magnifiée dans cette suite, et est accompagnée de bruitages excellents. Les concepteurs ont trouvé d’autres petits détails pour ajouter de la beauté à un peu toutes les actions d’Alice ; par exemple elle peut éviter des coups en s’évaporant dans une nuée de papillons pour réapparaître plus loin.
Comme détail, il faut remarquer aussi que l’animation du mouvement des bras d’Alice est différente dans le monde réel et celui imaginaire ; dans le premier cas elle les agite avec plus de délicatesse, comme une petite fille, et non comme une femme pleine d’assurance.
Les ennemis que doit affronter Alice sont conçus avec inventivité (des théières avec un œil, des taches d’encre qui prennent la forme de moustiques géants, des cartes-zombies dans lesquelles sont découpés leurs motifs), mais on ne peut en dire autant de leurs noms. Lewis Carroll avait inventé tout un bestiaire à partir de jeux de mots (bread-and-butterfly, snap-dragonfly, etc), or dans ce jeu on dirait que c’est l’inverse, par exemple les théières sont nommées, de façon très décevante, "eyepot"… tout simplement, sans aucun jeu de mot astucieux.
Mais ce n’est pas le plus important ; un de mes grands regrets, c’est que le jeu ne propose que des auto-saves, du coup on ne peut revenir en arrière à volonté, pour rectifier une erreur. La voie à prendre dans un niveau est toujours très mal indiquée, plus d’une fois j’ai vu les différentes options de chemin à prendre, j’en ai choisi un, sans savoir que ça menait à un tout lieu, sans possibilité de revenir sur nos pas. Ainsi, on sait qu’on a raté des objets à récupérer, et on ne peut rien y faire…
Parmi ces objets à récupérer, d’ailleurs, il y a des souvenirs d’Alice, soi-disant essentiels, mais l’intérêt de beaucoup d’entre eux m’a échappé.
Un autre problème ce sont ces instructions qui arrivent un peu tard : le jeu nous informe que les fleurs mauves sur notre chemin indiquent qu’il y a quelque chose de caché à dévoiler, en utilisant la vision spéciale obtenue lorsqu’on rétrécit. A ce moment-là, j’avais déjà vu un truc comme ça avant, mais par pur hasard ; j’aurais très bien pu rater des objets à récupérer.
La vision spéciale d’Alice quand elle rapetisse fait parfois apparaître des plateformes invisibles, mais pour sauter dessus, il faut retourner à sa taille normale. On se déplace alors dans le vide, ce qui fait assez peur, au début. Plus tard il y a carrément tout un niveau uniquement dans les airs, avec beaucoup de plateformes invisibles. C’est à la fois magnifique et angoissant.
Le jeu apporte régulièrement des idées nouvelles à son gameplay, que ce soit un niveau où il faut suivre une âme qui flotte au-dessus de nous, sans quoi les ténèbres finissent par nous entourer, ce qui est super oppressant, et en plus ça nous faire perdre de la vie. Il y a aussi une des petites énigmes, dont une variante très originale d’un jeu d’échec. Par contre, les passages de flipper avec une tête de poupée, elles m’ont vraiment déplu.

Je ne m’en suis pas rendu compte avant plusieurs heures de jeu, tant celui-ci est captivant, mais l’histoire peine vraiment à faire sens. Dans American McGee’s Alice, on passait d’un niveau à l’autre avec une trame très effacée, mais ce n’était pas un problème ; ce qui est plus gênant, c’est quand l’intrigue est plus présente mais est aussi embrouillée que dans Madness returns.
Le chapelier est devenu gentil, et aide Alice maintenant, on ne sait pourquoi. L’héroïne cherche à obtenir des réponses par rapport à un train, qui risquerait de causer la destruction de Wonderland, et qui aurait été construit par le Loir et le Lièvre. Le fait qu’il s’agisse d’un train m’a embrouillé, mais je crois que ce moyen de transport a été choisi tout à fait arbitrairement pour symboliser l’attaque subie par l’esprit d’Alice.
Les dialogues sont quasiment impossible à suivre, on n’y comprend rien. J’ai revu des passages en VO sur youtube, et ça m’a semblé plus clair, mais je me demande si ce n’est pas parce qu’il s’agissait d’une seconde écoute, et non parce que le propos était plus compréhensible en anglais. En y réfléchissant, j’ai l’impression que le scénariste a cherché à mêler dans les dialogues le caractère informatif avec des propos décalés qui tentent, de façon totalement ratée, de se rapprocher du style de Carroll. Quand le Chapelier dit "forgetting is forgetting, except when it’s not… then it’s called something else", on sent l’intention du scénariste de placer une reflexion sur le langage à la Carroll, mais il n’y a là rien de pertinent, ni d’utile, ça embrouille plus qu’autre chose et le temps d’essayer de comprendre, on passé à côté des informations importantes. Et souvent les dialogues semblent juste remplis de blabla alambiqué, sans sens profond, pour donner l’illusion d’un texte intelligent. La seule remarque vraiment digne de Lewis Carroll dans tout le jeu, c’est "ne pleurons pas mes membres mais plutôt leur perte" (quoique c’est formulé moins intelligemment en VO).
Mais même en dehors de ça, plusieurs fois, j’ai eu l’impression d’avoir raté un épisode : on a cette cinématique où le Chapelier saisit Alice dans sa main et l’emmène avec lui… et quand le niveau suivant démarre, le Chapelier a disparu. Il y a aussi ce passage où, après avoir récupéré des huîtres pour le Charpentier, Alice traite ce dernier de tueur. Si on n’a pas lu "Alice de l’autre côté du miroir", on ne sait pas de quoi l’héroïne parle, surtout que dans le jeu rien n’indique que le Charpentier va manger les huîtres.
D’ailleurs je ne comprends même pas pourquoi on va voir ce personnage, à part pour avoir un prétexte pour rallonger le jeu, puisque le Charpentier charge Alice de trouver de quoi monter son spectacle. On doit notamment retrouver un poulpe dramaturge, qui veut jouer à cache-cache (vraiment)… comme si Alice avait le temps de se préoccuper de ça alors que sa santé mentale est en danger.
La conclusion du jeu aurait pu relever le niveau, je comptais un peu sur le fait qu’elle apporte une lumière nouvelle sur le reste de l’intrigue en expliquant tout… mais non, c’est très décevant, et presque aussi incompréhensible que le reste.
En fait, j'avais vu dans l'émission "Heroes of cosplay" des trois femmes qui passaient sur scène avec des costumes basés sur Alice Madness returns, et dont la mise en scène présentait une histoire plus intéressante que celle du jeu, c'est dire ! (on y voyait Alice vaincre la reine rouge, mais s'emparer de la couronne et prendre sa place, une idée que je trouve particulièrement futé et tordu).

Alice Madness returns est un jeu qui m’a bien plu, essentiellement grâce à l’inventivité et la beauté visuelle qui emplissent chaque niveau, mais je suis terriblement frustré par le fait que le scénario soit si loin d’être d’une qualité équivalente. Quel dommage.
J’espère tout de même qu’un troisième jeu se fera un jour, sans qu’on ait encore à attendre 10 ans non plus.

Créée

le 16 févr. 2014

Critique lue 383 fois

1 j'aime

Fry3000

Écrit par

Critique lue 383 fois

1

D'autres avis sur Alice : Retour au pays de la folie

Alice : Retour au pays de la folie
Vagabond
9

Eye Candy

Les miracles existent ! Il arrive que la foi soit récompensée ! L'argent ne fait pas (entièrement) tourner le monde ! Je crois que tout le monde a été surpris en apprenant que American McGee's Alice...

le 19 juil. 2011

25 j'aime

26

Alice : Retour au pays de la folie
Muet_dhiver
5

A la folie, pas du tout

Derrière une ambiance visuelle incroyable, se cache un cœur de jeu dont les mécaniques datent. De dix ans, au minimum : les phases de plateforme, qui constituent une bonne moitié du jeu, ne sont pas...

le 16 juin 2011

23 j'aime

6

Alice : Retour au pays de la folie
Pipomantis
8

Morts et Merveilles

Commençons cette critique avec un aveu un peu triste : nous n'avons plus confiance en American McGee. Level designer de profession (il a notamment oeuvré sur Doom et Quake), il avait réussi à nous...

le 8 juil. 2011

9 j'aime

2

Du même critique

Breaking Bad
Fry3000
4

Le daron de la drogue

En dépit de tout le bien que je lisais ou entendais de toutes parts sur la série, c’est suite à la lecture, il y a presque deux ans, de la fameuse lettre totalement élogieuse d’Anthony Hopkins...

le 18 juil. 2015

56 j'aime

62

Mr. Robot
Fry3000
4

L'hacker a ses raisons (Saison 1)

Spoilers ahead. Je suis du genre à me méfier des séries qui font le buzz ; ce n'est que lorsque l'enthousiasme des débuts retombe et que les avis sont plus variés qu'on peut se faire une meilleure...

le 23 août 2016

54 j'aime

5

Couche-moi dans le sable et fais jaillir ton pétrole
Fry3000
1

Critique de Couche-moi dans le sable et fais jaillir ton pétrole par Fry3000

"Couche-moi dans le sable et fais jaillir ton pétrole", voilà un titre plutôt "connu", mais si insolite que beaucoup doivent ignorer que ce film existe vraiment. Encore moins nombreux sont ceux qui...

le 22 févr. 2015

51 j'aime

12