Antichamber
7.3
Antichamber

Jeu de Alexander Bruce et Demruth (2013PC)

Il est pas super évident de faire une critique d'un jeu dont révéler des pans gâcherait les surprises qui vous y attendent, et donc le sens même du jeu ; J'aimerais plutôt vous en faire une introduction et, peut-être, donner l'esquisse d'une marche à suivre permettant de l'apprécier.

Après, personne est obligé hein.

Comme on l'a beaucoup signalé dans les critiques, sur ce site ou sur ceux -spécialisés- de jeux vidéos, il ne faut pas s'attendre à une histoire ou un background passionnant lorsque vous parcourerez les salles d'Antichamber. Après avoir succédé à un Portal 2 (auquel on pense forcément en touchant à ce titre) qui, lui, était scénarisé, ça peut paraître un sérieux défaut. Un des points sur lequel je voudrais appuyer est qu'en fait, c'en est pas forcément un. Il s'en est même fallu de peu que ce ne soit une des grandes qualités du jeu.

Je résume en quelque mots de quoi on parle : Antichamber, Puzzle-game au style épuré où vous serez directement plongé dans un enchevêtrement de galeries et de salles, lesquelles vous confronterons à des énigmes non pas segmentées mais reliées entre elles, le monde proposé étant fait d'un seul et même bloc. Bon. Ca commence fort : dès le début on est doublement frappé, d'abord par un style visuel qui est clairement un parti-pris (obligatoire pour tous les jeux développés quasiment tout seul, puisqu'on ne peut alors pas rivaliser avec les gros studios de production), parti-pris s'orientant vers une épure de lignes et de couleurs. Vous naviguerez dans des environnements à la géométrie impudique, les arêtes de chaque murs et obstacles tracées de noir tandis que leurs surfaces proposeront des aplats de couleurs vives. L'autre choc se situe au niveau logique - C'est une belle réussite du titre au moins dans son premier tiers, celui de nous faire perdre tous nos repères concernant notre rapport à l'espace, au temps, à la signalétique, voir même à l'autorité. Le haut peut mener au bas et la gauche à la droite (comme pour Eric Besson) ; savoir s'armer de patience dans des situations absurdes, savoir perdre son temps apporte des récompenses inattendues, tandis que suivre un ordre ne se révèlera à l'inverse pas forcément un bon choix. Le jeu est malin puisque son illogisme n'est pas manichéen : il vous faudra parfois user de raisonnements classiques pour avancer dans le labyrinthe. Au fond, on finit par saisir l'univers proposé comme une forme, plus chouette et complexe que le logique et l'illogique, une forme de logique alternative - A laquelle on finit par s'adapter... Ceci prouvant s'il le fallait encore que les codes de tous les jours ne sont qu'une somme d'habitudes à prendre ou à défaire : moi qui vous écrit, je suis maintenant parfaitement formé si un jour ma rue, mon quartier se mettait à fonctionner sous le joug des lois exotiques d'Antichamber.

Du coup on est vraiment dépaysé : la pureté des lignes graphiques, l'ambiance sonore rythmée de bruits naturels (chants d'oiseaux, vent, bruits d'eaux...) mêlés de crissements, de chuintements, de bruits métalliques ou du bruit sourd qu'on produit lorsqu'on souffle dans un tuyau, toute cette ambiance portée par la sensation d'être perdu dans un monde incompréhensible pourra tour-à-tour vous intriguer, vous troubler, voir même vous angoisser. Les énigmes ne sont pas spécialement difficiles et peuvent s'appréhender dans des ordres différents, vous ne serez jamais vraiment bloqué jusqu'à arriver aux derniers tournants de l'aventure. Tout semble parfait dans le moins meilleur des mondes possibles...

Malheureusement la critique du background et du scénario me semble juste - Et complètement fausse à la fois. On a pas mal souligné, je le disais plus haut, la pauvreté du scénario et des indications menant à faire avancer l'histoire - Ma position personnelle serait, au contraire, que ces indications sont trop nombreuses. Il y a chez l'auteur d'Antichamber une volonté de tracer en pointillés légers une histoire voir, parfois, un semblant de morale. Je le déplore. A mon sens, la beauté du titre résidant dans cette immersion en un monde inconnu et bizarre, il n'aurait pas dû y avoir trace d'un mot d'anglais, non plus de cette cohérence graphique malvenue dans les écriteaux dessinés et écrits qui parsèment la promenade. Un monde nu, sans aucun sens (qu'il soit spacial ou de raison) m'aurait définitivement branché - Avec les repères donnés, sans jamais perdre la connexion avec Antichamber je ne suis pas parvenu entièrement à m'y perdre.

Quelques autres défauts sont à souligner ; une fois passé la phase de la découverte, les moments de surprises s'espacent. On tombe même sur des problèmes qui dans d'autres jeux furent franchement vus et revus, des systèmes usés ou dont Antichamber abuse en nous proposant plusieurs fois les mêmes choses à faire, à peine déclinées en de légères variations. On le finit vite mais, pourtant, au bord de l'indigestion - Lorsqu'on arrive au bout, pour ceux qui iront visiter tous les recoins du labyrinthe, c'est vraiment le bon timing pour sortir d'une aventure qui, en ayant réussi brillamment à nous extraire du quotidien, allait finir par nous en imposer un nouveau tant les dernières heures peinent à se réinventer. Dommage vraiment que le climax vidéoludique s'ancre, résolument, lourdement, dans les premières salles du jeu pour retomber progressivement ; pas assez vite cependant pour ne pas vous recommander de faire un tour, vous aussi, dans le monde intrigant d'Antichamber.
Pognon
7
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Créée

le 10 févr. 2013

Modifiée

le 10 févr. 2013

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Pognon

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