– On ne passe pas ! Désolé, Batman, réservé au personnel d'Arkham.
– Je vous assure, s’il y a bien quelqu’un de qualifié…
– Écoutez, j’apprécie cette aide, mais il déstabiliserait les patients violents.
– Ha ha ha ha ! Je crois bien qu’il parle de toi, Batou. Ne fais pas ton timide, tu es toujours le bienvenu ici. Haaa, ça fait du bien d’être de retour. Je t’ai manqué ? Ha ha ha ha !
– Est-ce que ça va ?
– Il s’est rendu presque sans combattre. Je n’aime pas ça.
– Au moins, il a retrouvé sa place.
Plongez au cœur d'un univers où la folie règne en Maître
Il y a des jeux qui marquent. Et puis il y a ceux qui t’agrippent le visage et te plongent dans les ténèbres, tête la première, au point de t'obliger à respirer leur air malsain, refusant de te relâcher même quand tu crois en être sorti. En 2009, Batman Arkham Asylum a été cette gifle-là. Une claque te faisant comprendre qu’un cap vient d’être franchi. Et plus de quinze ans après, je le ressens encore. Ce n’est pas un simple souvenir vidéoludique d'un jeune boutonneux. C’est une empreinte au fer rouge, tel Bat-Affleck dans BvS de Snyder, incrustée dans ma mémoire de joueur et de fan. Ce jeu ne se contente pas de te proposer d’incarner Batman. Il t’étouffe sous sa combinaison, son masque et sa cape, pour mieux te coincer entre les murs crasseux d’Arkham, où la folie est partout. Premier opus de ce qui deviendra une saga culte, Arkham Asylum ne cherche jamais à séduire avec des artifices. Il impose sa noirceur, son ambiance de fin d'humanité, son rythme de traque animale où chaque affrontement frappe dur et fort. Pourtant, l’histoire commence comme une routine dans l'univers de Batman, puisqu'on y retrouve le Joker capturé et escorté à l’asile par un Batman vigilant. Une longue séquence d'introduction qui nous plonge habilement dans cet univers macabre. Et puis, une faille, un piège, et tout part en vrille. Et c'est comme ça qu'en tant que joueur, on se retrouve embarqué dans une descente à la fois brutale et insidieuse. Avec ce titre, Paul Dini signe un scénario simple, mais ô combien intelligent, de par ses allures de théâtre claustrophobe, où les fous sont rois et où le Chevalier Noir devient le seul et unique taulier. Ce n’est pas tant l’action qui te happe (même si !!!), mais cette ambiance gothique et paranoïaque qui t’absorbe en te donnant l’illusion parfaite de devenir Batman, dans ce qu’il a de plus badass, de plus effrayant, et de plus insondable.
L’ivresse d’être Batman dans un monde de fous rend ce jeu parfaitement addictif. Chaque déplacement, chaque attaque, chaque prise de décision reflète notre dextérité à jouer via la puissance et la froideur de Bruce Wayne sous le masque. Il avance, tu retiens ton souffle. Il frappe, tu exultes. Il se cache, tu observes. En clair, Rocksteady a trouvé le moyen de faire vibrer l’adrénaline dans la paume de nos mains. Arkham n’est pas une prison qu’on sauve d'une attaque du Joker. C’est un monde qu’on traverse les dents serrées, le temps d'une nuit infernale. Un véritable huis clos à ciel ouvert. Et toi, silencieux et invisible, tu t’y glisses pour y semer ta justice. Une justice brutale et irrémédiable. C’est comme ça qu’on prend un plaisir total à éliminer silencieusement un groupe d’ennemis terrorisés, à fondre depuis les hauteurs, à planer d’une gargouille à l’autre, à s’infiltrer dans les systèmes de ventilation, à repérer sa proie, à tendre des pièges, ou encore à tabasser de manière brutale des psychopathes à travers une violence jubilatoire. Frapper et disparaître. Ou bien bondir tête la première dans l’arène tel un animal sauvage, usant de nos poings comme des massues. En cela, le gameplay d’Arkham Asylum propose différents styles de jeu parfaitement équilibré entre le combat bourrin, l’infiltration et l’exploration. Le système de combat libre est d'une fluidité étonnante à l'époque de sa sortie et particulièrement intuitive. Sans conteste un des points forts majeurs. Cela permet de passer d’un ennemi à l’autre avec une aisance déconcertante, tout en conservant une chorégraphie brutale et esthétique. En parallèle, les séquences d’infiltration demandent stratégie et sang-froid en nous poussant à éliminer les ennemis méthodiquement sans jamais être repéré. Une combinaison parfaite, à laquelle s’ajoute une panoplie de gadgets high-tech, intelligemment exploitée au fil de la progression. Batarang, Bat-grappin, gel explosif, séquenceur de cryptage, lunettes de détection… chacun d’eux est un levier pour débloquer des zones ou résoudre des énigmes.
Il y a des jeux où les graphismes ne sont que de la poudre aux yeux, mais Arkham Asylum s’impose comme une empreinte visuelle déroutante. Déjà impressionnant à sa sortie, le jeu conserve encore aujourd’hui un cachet visuel saisissant. Dès les premiers pas dans l’asile, on ne voit pas un simple décor mais un être vivant malade. Un personnage à part entière. Que ce soit l’architecture rongée par le temps, l’éclairage faiblissant qui jette des ombres déformées, les couloirs suintant la décrépitude, les textures sales… l’immersion est totale. Un cauchemar d’architecture gothique, fascinant de malaise, qui semble à chaque plan avoir une histoire à raconter. Un lieu transpirant le vécu. Certains niveaux d’Arkham sont réellement marquants. Je repense aux égouts de Killer Croc, au monde fantasmagorique de l’Épouvantail, à la serre botanique, au bloc de sécurité maximale, à la Batcave secrète creusée sous l’île, ou encore au manoir d’Arkham, avec des séquences plus narratives et introspectives mettant en avant la tragédie et la hantise de Bruce. Chacun est conçu avec une identité propre et une ambiance unique. Une excellente façon de nous tenir en haleine. Les visuels sur les personnages ne sont pas moins frappants. Chaque modèle inspire une véritable inquiétude. Que ce soit le Joker, en créature grimaçante tout droit sortie d’un mauvais rêve, le cauchemardesque Épouvantail, le molosse Bane, ou encore le bestial et abominable Killer Croc, jusqu’au psychopathe Zsasz, sans oublier la torride et plantureuse Poison Ivy, ainsi qu’une Harley Quinn aussi cruelle que provocante… En bref, on se régale de ces portraits mettant à l’honneur l’horreur de ces personnages. À ce bal de l’horreur s’ajoute une bande-son omniprésente, d’une redoutable efficacité, avec des titres que j’adore comme The Overworld, Welcome to the Madhouse, Whisky Trail, Scarecrow. Une conduite musicale renforçant ce chaos d’angoisse.
– Il a recommencé, c’est impossible ! J’arrive tout de suite.
– Oups ! Changement de plan, petite.
– J’ai fait de mon mieux !
– Désolé, je n’aime pas les perdants. Je te raye de la liste des invités. Ça ira mieux la prochaine fois. Ha ha ha ha !
– Noooonnnnnn !!!!!!!! Crève, sale chauve-souris !
Le Joker incarne bien évidemment l’âme de ce chaos. Il est l’architecte de cette folie que l’on doit arrêter à tout prix. Mais l’asile regorge de ses collaborateurs. Une véritable armée, tout aussi dérangée que distrayante pour nous tant on prend un malin plaisir à les exploser au corps à corps. Seulement, ils représentent une véritable menace, avec des enjeux forts, puisque de nombreux innocents meurent à cause d'eux. Côté boss de niveau, là aussi on est bien servi. Que ce soit Poison Ivy, Killer Croc, Harley Quinn, Bane, l’Épouvantail, Victor Zsasz et quelques autres, on se régale de les affronter. En plus, le jeu a l’intelligence de ne pas tout dévoiler d’un coup, puisqu'il garde une partie de sa galerie de fous furieux emblématiques de Gotham sous le coude, pour les prochains jeux. Ce qui est excellent avec ces boss, c’est que chaque affrontement dépasse le simple duel. En atteste L’Épouvantail avec ses séquences hallucinatoires qui ne se contente pas de quelques effets visuels, mais va jusqu’à bousculer ton gameplay en brouillant ta perception du jeu lui-même. Ces séquences d’affrontement contre lui sont bougrement intelligentes tant elles distordent la réalité à travers des ruptures de ton efficaces, mettant en scène un Épouvantail décidément insidieux. Les niveaux où il te fait basculer dans la folie sont parmi les plus marquants du jeu. On peut dire que Rocksteady s’est fait plaisir. Mais tout cela n’est qu’une mise en bouche en comparaison de la confrontation contre Killer Croc qu'on ne combat pas frontalement tant il est puissant. Un chapitre dans les égouts, dans lequel il se dresse comme un véritable cauchemar reptilien, caché sous la surface. La mission repose sur une progression lente et méthodique, dans un labyrinthe de plateformes étroites flottant au-dessus d'une eau noire poisseuse. Chaque pas sur la plateforme flottante émet des clapotis d’eau faisant surgir d’un bond le monstre imposant, qui se met à nous pourchasser comme un affamé. Chaque attaque ne peut être contrée que par le lancer rapide d'un Batarang qui le renvoie temporairement sous l’eau. Un véritable tour de force en termes d’angoisse tant la tension est palpable. Un véritable kiff !
Les confrontations contre Harley Quinn sont moins impactantes, mais parviennent malgré tout à s’inscrire dans une continuité jubilatoire, puisqu’elles s’entourent d’une panoplie de méchants de seconde catégorie que l’on prend un malin plaisir à défourailler. Par contre, Poison Ivy est un véritable calvaire à vaincre avec sa méga plante imbibée du virus Titan. Quant à Bane, indirectement au centre de l'énigme, on met en place une véritable astuce de survie tant il est difficile d'affronter le bonhomme d'égal à égal. Pour ce qui est du climax final face au Joker, je dois reconnaître avoir été un brin déçu. Le duel final se déroule dans une grande arène sur le toit de l’asile, après que le Joker s'est injecté une dose massive du produit Titan faisant de lui une version mutante comme Bane. Cela le transforme en une créature gigantesque et monstrueuse aux muscles hypertrophiés avec des griffes et une crête osseuse effrayante. Il devient un boss de fin ultra-chaotique particulièrement convaincant. Une riche idée qui en plus s’accompagne d’une belle mise en scène, mais je regrette que l’affrontement soit finalement un peu trop facile. Au lieu d’un affrontement brutal en face-à-face contre cette version monstrueuse du Joker, on se retrouve à devoir esquiver ses charges jusqu'à ce qu'il se lasse et qu’il nous tourne le dos pour parader devant les caméras, fidèle à sa folie mégalo. Pendant ce temps, il nous balance ses sbires comme des pions sacrificiels qu'on élimine sans trop de mal. On utilise alors le Bat-grappin pour attraper le dos vulnérable du Joker et le ramener vers nous pour l’écraser sous une pluie de coups. En plus, ce schéma tourne en boucle, encore et encore, diluant un peu l’intensité de l’affrontement. Au moins on se régale de la séquence cinématique finale, où l'on peut voir Batman asséner le coup surpuissant au Joker à travers une technique pour le moins explosive. Mais avant cela, ce qui est pertinent c'est que Batman a refusé de s’injecter le Titan, malgré la pression de Joker pour faire de lui un monstre. Grace à son refus, il incarne l’idée que la force brute n’est rien sans la discipline et la morale. Ce choix symbolise l’aboutissement d’un duel total entre les deux figures, puisqu'il bas non seulement le clown sur le plan physique, mais aussi sur le plan psychologique, parce que le Joker échoue à faire sombrer Batman dans la folie. Une fin parfaite sur le plan idéologique.
La tension que le jeu construit autour du Joker est immense, et après tant d’heures de jeu, on est heureux de se retrouver face à lui et de lui faire payer la mort de tous ces innocents. C'est pourquoi, malgré la forte symbolique, après tous les adversaires difficiles qu’on a affrontés, on ne peut qu'être un minimum déçu que celui-ci ne se montre pas particulièrement ardu à vaincre. C’est une petite déception que je garde en moi, mais elle n’enlève rien au plaisir de voir enfin cet affrontement se conclure, et surtout d'admirer la nouvelle puissance de ce Joker. Parce qu’au fond, c’est toujours Batman contre le Joker. Et c’est toujours une confrontation qui nous frappe en pleine face. Peut-être qu’en fin de compte c’est ça le plus grand tour du Joker, celui de te donner envie de le voir tomber tout en sachant que ce ne sera jamais vraiment sa fin. Et c’est ça, au final, qui rend Arkham Asylum si pervers. Car chaque ennemi, qu’il soit réel ou fantasmé, représente une épreuve différente. Physique, mentale, psychologique. Des épreuves qui ne sont pas que des obstacles mais des fractures dans l’âme de Batman. Et le jeu le met habilement en avant, te laissant te demander : « Qui est le véritable monstre ici ? » Enfin, pour ceux qui souhaitent prolonger ce plaisir de pure folie, le jeu propose une grande quantité de contenus annexes pour décortiquer et disséquer cet univers. Des contenus particulièrement riches. En tête de liste on retrouve les énigmes de l’Homme-Mystère, qui a disséminé des centaines de défis, objets et indices à travers l’asile. Résoudre ces énigmes offre non seulement des récompenses, mais aussi une meilleure connaissance de l’univers, via des biographies de personnages, des bandes audio et des secrets liés à l’histoire de l’asile. Mais pas facile de résoudre l'ensemble des énigmes. En plus de cela, des défis de combat et d’infiltration en mode arcade permettent de perfectionner ses techniques et de débloquer des trophées. J'en retiens qu'Arkham Asylum n’est pas seulement un jeu à finir, mais aussi un monde à explorer et décortiquer.
CONCLUSION :
Batman: Arkham Asylum n’est pas simplement un excellent jeu, c’est une déclaration d’amour sombre et viscérale à l’univers du Chevalier Noir, qu'il revisite de la meilleure des manières. Avec son gameplay équilibré entre infiltration, combat et exploration, son ambiance gothique suffocante et ses antagonistes inoubliables, le jeu impose une expérience aussi marquante qu’oppressante. Un huis clos à ciel ouvert sous la forme d'un asile qui devient un miroir brisé de l’âme de Batman. Le début d'une nouvelle légende pour Batou.
Un jeu vidéo devenu instantanément culte. C’est ce qu’on appelle un chef-d'œuvre, un vrai. Voilà pourquoi il s’imprime dans ma mémoire et refuse de s’effacer.
– C’est fini, Joker.
– Fini ? Ça ne fait que commencer.