Cette fiction interactive de Batman souffre autant de la comparaison avec l’excellence de la série des Arkham que du déclin qualitatif des productions TellTale ; une déchéance anticipée par beaucoup et qui aura abouti à la fermeture du studio après une surenchère presque boulimique de projets plus impersonnels les uns que les autres.


Direction artistique quelconque et trop souvent fade (des décors conventionnels de Gotham City au chara design franchement peu inspiré) ; mise en scène parfois franchement à la ramasse ; écriture qui lorgne dangereusement vers la fan-fiction douteuse (avec une insistance presque adolescente sur les romances contrariées des divers protagonistes) ; choix à l’importance factice et doublage d’une qualité inégale (Troy Baker est plutôt convaincant en Bruce Wayne mais ne parvient pas à s’imposer comme un Batman intimidant), cette énième interprétation du Dark Knight peine réellement à convaincre et surtout à développer une véritable identité propre en comparaison des nombreuses incarnations que le héros a connu au cours des deux dernières décennies ; qu’elles se soient illustrées sur grand écran, en animation ou au sein du médium interactif.


La première saison était déjà percluse de défauts mais avait au moins le mérite de proposer une Origin Story un peu plus enthousiasmante à l’égard des œuvres déjà existantes sur le protecteur de Gotham ; un twist intéressant sur l’héritage de la famille Wayne, une intrigue sur le long terme qui mettait en valeur un antagoniste inédit et surtout une dualité entre les identités de Batman et Bruce Wayne qui apportait un certain complément à l’expérience des jeux Arkham ; quelques qualités qui légitimaient en tout cas bien davantage d’accorder de l’intérêt à cette ébauche du Batman Made in Telltale.


Mais pour une raison assez regrettable, cette deuxième saison ne réitère aucune des réussites de son prédécesseur et en accentue au contraire les défauts consternants.


Exit la nouveauté, cet Enemy Within s’évertue à faire intervenir le plus grand nombre de protagonistes issus des comics ; comme un étrange renoncement à développer sa propre mythologie et à proposer simplement une réinterprétation souvent cahoteuse de personnages emblématiques. L’Homme-Mystère, Harley Quinn, Freeze, Bane, le Joker ; ils sont tous là mais honnêtement vous en viendrez presque à regretter leur présence tant le récit enchaine les tentatives maladroites de se différencier des versions déjà existantes de ces protagonistes. L’intention n’est pas toujours mauvaise mais l’exécution elle est franchement embarrassante ; le Joker qui souhaite davantage se lier d’amitié avec Bruce Wayne que se confronter à Batman, sur le papier l’idée n’est pas inintéressante mais sa concrétisation est au mieux maladroite, au pire presque malaisante et surtout, elle demeure invraisemblable à chaque instant. Quant à la dualité Batman / Bruce Wayne, elle est purement et simplement dégagée pour imposer au joueur un rôle d’agent double particulièrement laborieux et hors de propos vis-à-vis de son protagoniste.


Bref, nous avons tous aimés les productions Telltale pour des qualités amplement méritées à l’apogée critique du studio mais ce Batman a définitivement franchi le pas d’une réinterprétation étonnamment puérile dans sa démarche, entre volonté mercantile d’interpeller les visages les plus connus de Gotham City tout en imposant une réinterprétation assez saugrenue, pour ne pas dire immature, de ces personnages emblématiques.


Néanmoins, le dernier épisode parvient davantage à susciter l’adhésion, en proposant à la fois une alternative convaincante du récit suite aux actions du joueur tout en parvenant à intégrer sa démarche narrative dans une réflexion plus globale sur les actions de Batman et sa responsabilité vis-à-vis du mal qu’il a engendré dans sa croisade irréfléchie. Si le déroulement de l’intrigue demeure globalement linéaire (par nécessité de production ou bien emprise créative des scénaristes), cet Enemy Within a néanmoins le mérite d’accentuer l’impact des décisions de Batman / Bruce Wayne auprès de son entourage ; la sempiternelle question du héros solitaire, par crainte de blesser ses proches, est certes devenue quelque peu redondante au fil des années mais cette fiction interactive parvient efficacement à impliquer le joueur dans cette problématique ; offrant de véritables dilemmes qui parsèment cette aventure mouvementée, entre la nécessité d’acquérir toute l’aide disponible et la peur légitime des drames qui en découleront. Outre la relation avec Catwoman (classique mais globalement bien menée), c’est bien le rapport de force inattendu avec Alfred qui tire son épingle du jeu ; seul pilier qualitatif inébranlable au sein d’une myriade d’écueils narratifs. Éreinté par une pression constante et fragilisé psychologiquement par les combats incessants de son jeune protégé, le fidèle majordome de la famille Wayne est ici davantage enclin à l’erreur et aux jugements subjectifs ; offrant ainsi un vacillement intéressant à la tranquille stabilité que Batman retrouvait habituellement dans sa véritable demeure. Et si le personnage de Tifanny est bien plus perfectible, et franchement indigeste la plupart du temps, elle participe néanmoins à l’enrichissement de cette thématique ; son parcours personnel étant grandement impacté par les décisions du joueur / Batman tout en parvenant à garder une certaine cohérence avec ses propres tiraillements identitaires.


Quant au Joker, je ne parviens toujours pas, à l’heure où j’écris ses lignes, à déterminer si quelques fulgurances de génie émaillent réellement cette constante maladresse qui entoure ce personnage plus qu’emblématique ; mais il doit probablement en être ainsi, malgré mes propres réticences à l’admettre, étant donné que je ne cesse de m’interroger sur cette vision atypique depuis la conclusion déroutante de cette aventure. Ce ne sera certainement pas une version du personnage que j’affectionnerais particulièrement mais elle aura au moins eu le mérite de surprendre l’habitué des comics que je suis (ce qui en soit est sans doute déjà une réussite). Ne vous fiez pas forcément à la note, plus que généreuse, car Batman est depuis longtemps une de mes cordes sensibles en matière d’appréciation critique (et je l’assume parfaitement) ; dommage, néanmoins, que cette nouvelle interprétation interactive demeure parmi les œuvres les moins convaincantes des productions Telltales ; productions pour lesquelles j’éprouvais en l’occurrence une véritable affection par le passé.


Puisque le studio a bénéficié d’une nouvelle chance inespérée avec sa refonte partielle, espérons de ce fait que la saison 2 de Wolf Among Us saura renouer avec la richesse narrative et thématique qui aura été, un temps, la pièce maitresse du studio…Et dont ce Batman est malheureusement trop souvent dépourvu.


PS : Peut être conscients du manque d’impact de leur direction artistique, cette production Telltale est à ma connaissance la seule à proposer une esthétique alternative en la présence d’un Mode Ombres, offrant ce qui pourrait s’apparenter grossièrement à un filtre Sin City ; à savoir du noir et blanc ponctué de couleurs vives. D’ordinaire, je ne serais pas vraiment enclin à recommander ce genre de changements (vu qu’à l’évidence, ce n’était pas l’intention initiale de l’équipe créative) mais je pense quand même que dans le cadre de ce Batman, le filtre peut être expérimenté pour conférer un peu plus de personnalité à cette aventure bien trop timorée.

Leon9000

Écrit par

Critique lue 24 fois

D'autres avis sur Batman: The Telltale Series - The Enemy Within

Batman: The Telltale Series - The Enemy Within
WanHero
8

Qu'est ce qui n'a qu'un œil mais qui ne voit pas ?

Depuis ma jeunesse, j’ai toujours adoré Batman, comme beaucoup vous allez me dire, ce personnage sombre est un personnage plus identifiable et plus facile à vaincre qu’un Superman surpuissant. On...

le 29 sept. 2019

4 j'aime

3

Du même critique

Final Fantasy VII: Remake
Leon9000
6

Is this the Real Life? Is this just Final Fantasy?

J’aime beaucoup Final Fantasy 7. C’est un de mes Final Fantasy préférés mais ce n’est pas un de mes JRPG préférés pour autant. Cloud est mon Main dans Super Smash Bros Ultimate mais je n’ai pas pour...

le 19 avr. 2020

55 j'aime

6

Hogwarts Legacy : L'Héritage de Poudlard
Leon9000
7

Harry Trotteur

Quel jeu est véritablement Hogwarts Legacy ?C’est tout d’abord le titre tant espéré, et jamais concrétisé jusqu’ici, qui retranscrit l’univers foisonnant d’Harry Potter dans toute sa splendeur et son...

le 18 févr. 2023

51 j'aime

9

The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom
Leon9000
9

L'envol du Dragon

J’ai rapidement compris que Tears Of The Kingdom ne serait pas un de mes Zelda préférés.Drôle d’entrée en matière, je sais, mais la question est après tout légitime (et même instinctive) lorsqu’une...

le 24 mai 2023

39 j'aime

5