Mon Graal, dans les récits interactifs, n'est pas bien différent de celui des autres amateurs du genre: à chaque fois, j'espère me confronter à des choix qui modifient réellement l'aventure qui m'est proposée, histoire de laisser une marque, de modeler... Quête de moi-même à travers un résultat qui me renverrait aux recoins non-euclidiens de mon esprit. Car la vie réelle ne peux nous confronter à toutes les crises révélatrices de notre véritable personnalité. La plupart d'entre nous ne décide pas de la vie ou de la mort d'êtres humains, de la manière de survivre dans un monde chaotique, des gouvernements à faire tomber ou à mettre en place.
Les récits interactifs, plus qu'aucun autre jeu vidéo, ont le pouvoir de vous apprendre qui vous êtes. Mais la plupart du temps, ils ne le font pas, parce que, faut pas déconner, ça ferait trop de boulot.
Il est plus bien plus lucratif de construire un récit ultra-linéaire et puis de donner l'illusion au joueur d'avoir toutes les cartes en main. La démocratie reste un bon gros bobard, rien d'étonnant à cela. Mais s'il est bien fait, il y a peut-être quelque chose à creuser.
Telltale a généralement plus de succès d'estime que Quantic Dream, parce que son illusion marche du feu de Dieu. Ses jeux côtoient l'intime et permettent au joueur de se ménager un nid douillet dans l’intériorité, l'attachement, la responsabilité. Malgré tout, j'avoue ressentir une tendresse particulière pour Fahrenheit et Heavy Rain, les précédentes œuvres de David Cage. Ces films interactifs sont maladroits, dans leur gameplay comme dans leur scénario, mais ils proposent une identification toute particulière avec les héros, simplement en nous faisant faire des choses à première vue prodigieusement ennuyeuses: se brosser les dents, se raser, prendre une douche, s'occuper de son gosse, manger (pas juste en cliquant dans un menu), allumer la télé, pisser... C'est une autre façon de raconter l'intime, qui rejoint les leçons de game-design de Swery65, l'auteur de Deadly Premonitions (http://shshatteredmemories.com/greenvale/gdc-2011-game-design-in-the-coffee/) et, personnellement, j'y adhère pleinement.
Ainsi Quantic Dream oscillait-il sans cesse entre le quotidien et l'extraordinaire, numéro d'équilibriste qui me fascinait. Plus rien de cela dans Beyond, ou presque: pratiquement chaque scène du jeu fait intervenir un élément dramatique, une scène d'action totalement folle, bref, un truc énorme qui bouffe tout le reste, y compris le joueur. Tout a été pensé pour être vu, pas contrôlé. Le moindre déplacement doit être entravé par un dirigisme insoutenable qui ferait passer Call of Duty pour un open-world !
Beyond n'est qu'un immense train fantôme, avec des cinématiques qui surgissent comme des squelettes en plastique, à la différence que, à force de stéréotypes et de grosses ficelles, tout devient assez prévisible et manque donc le coche "des sentiments", cheval de bataille de David Cage. Alors qu'Heavy Rain avait montré la voie vers un récit plus modulable que la moyenne, Beyond prend le chemin inverse et ne s'occupe même pas, cette fois, de donner une quelconque illusion au joueur. Pendant toute ma partie, je savais que je faisais précisément ce que je devais faire, que pas un seul élément serait réellement modifié par mes pseudo-choix. Bref, je jouais avec la main de Cage posée sur mon épaule, sa bouche frétillante collée à mon oreille qui me hurlait "ÉMOTIONS" !
Comme il est difficile de faire un jeu avec du vide, Beyond multiplie pourtant les séquences de gameplay "spécial": de l'infiltration, de l'équitation, une folle virée en moto... Tout est raté, bien sûr, à l'exception peut-être de l'infiltration que j'ai trouvée sympa, à défaut d'être retorse.
Je terminerai avec un point positif qui justifiera la moyenne accordée: le jeu d'acteur est vraiment bon. Ellen Page et Willem Dafoe font le taf et parviennent à transmettre au joueur réceptif cette putain d'émotion à laquelle on ne croyait plus. J'ai trouvé les personnages attachants et je dois dire que la modélisation des visages et les expressions faciales parviennent à créer un tant soit peu l'immersion. Enfin, Cage est un scénariste plus moyen que lamentable et parvient donc à nous sortir, de temps en temps, un passage qui relève largement le niveau. Mais, presque à chaque fois, il s'agit de moments tranquilles plutôt que de scènes d'action hollywoodiennes qui ne peuvent et ne pourront jamais exploiter toute la richesse d'un récit interactif.