Bon.
Qu'on se le dise tout de suite : je suis loin d'être allergique aux productions japonaises déjantées. Encore faut-il qu'elles le soient vraiment.
Avant de découvrir ce jeu, je ne connaissais pas encore Persona - honte à moi -, et par le fait, je n'avais pas fait le rapprochement. Néanmoins, déjà à l'époque, j'avais eu un ressenti assez mitigé.
Sans vraiment se départir d'une originalité assez relative, Danganronpa : trigger happy havoc emprunte énormément à pas mal de lieux communs japonais : le joueur dirige un adolescent "ordinaire" qui va s'apercevoir qu'en fait, pas tant que ça. Il se retrouve enfermé dans une école pas banale - et flippante - avec d'autres jeunes gens, lesquels ont tous la particularité d'être des "Ultimate [insérer un talent aléatoire ici]". Exemple : l'Ultimate Fashionista, l'Ultimate Baseball Star, l'Ultimate Martial Artist...Bon, j'exagère, certains sont un peu plus mystérieux : l'Ultimate Affluent, au hasard. Et il y en a même une qui ne sait pas quel est son Ultimate, tiens. Comme d'habitude, on ne va quand même pas s'intéresser à des personnages "communs", non plus.
Reste qu'on n'a pas tout à fait les ingrédients classiques d'une école japonaise digne de ce nom : il manque encore un mystère, et aussi un peu beaucoup de sang. Or, c'est précisément à un jeu d'enquête qu'on a affaire, donc nécessairement, il va être question de meurtres. Tout plein de meurtres. Mais avec de l'hémoglobine rose fluo, s'il vous plaît.
L'idée est simple : enfermés dans l'école, les adolescents prisonniers ne peuvent en sortir qu'à deux conditions. Ils doivent tuer l'un des leurs, et ne pas se faire griller lors du "Class Trial." Si leurs camarades ne réussissent pas à identifier le/la coupable et le processus exact du meurtre, ils pourront partir. Mais les camarades, eux, seront exécutés. En revanche, s'ils se font démasquer, ce sont eux qui subiront la sentence. Sentence prononcée par Monokuma, à qui j'ai bien envie de décerner une palme de bronze d'antagoniste haïssable-et-typiquement-made-in-Japan : un ours mécanique bicolore et lunatique, un rien voyeur et passablement méprisant, dont la voix criarde risque d'en hanter certains pendant plusieurs nuits. C'est lui qui supervise la vie les étudiants, et qui par la même occasion fait figure de proviseur de l'école autant que de juge lors des procès.
Ces procès, parlons-en : ils constituent la partie la plus intéressante du jeu : dynamiques, colorés, ils se présentent comme un gigantesque hommage à Phoenix Wright : Ace Attorney. Au cours desdits procès, le joueur doit "tirer" à l'aide d'un revolver argumentaire - ce n'est pas une métaphore cheap, c'est vraiment ce qui se passe à l'écran - sur les phrases erronées, les mensonges ou les contradictions pour rétablir la vérité - tout en hurlant "c'est faux !". Il devra également démontrer son sens du rythme en obligeant les membres les plus têtus à accepter l'évidence, ou encore reconstituer le déroulement du meurtre sous la forme d'un manga à remplir avec des vignettes. Tout ça aurait pu donner quelque chose de bien chouette, s'il n'y avait pas eu le reste du jeu.
D'abord, les enquêtes préalables aux procès : elles s'éternisent souvent en dialogues inutiles - notez qu'au passage "on" prend souvent un malin plaisir à répéter les mêmes phrases afin d'informer les autres personnages d'une découverte - et en perte d'interrogations sur des évidences. Je ne suis pas un détective de génie, mais quand même. Parfois - et c'est flagrant lors du dernier procès - les personnages perdent un temps considérable à remettre en question des éléments sans raison, pour que le mystère dure. Ajoutez-y les paraphrases citées plus haut, et les phases de discussion deviennent d'un répétitif assez pénalisant pour la dynamique du jeu. Et justement, tiens, on a rajouté d'autres dialogues : des phases entières qui ne sont consacrées qu'à ça. Non, non, vraiment qu'à ça : Makoto Naegi - le héros - est censé "socialiser" durant ces moments avec les autres membres de l'école, en échangeant des paroles qui n'auront aucune conséquence sur leur attitude à son égard. Alors là, non. C'est l'archétype même du jeu qui aurait pu connaître un dénouement multiple. Des chemins différents. Mais non. Vos interminables interactions avec les autres n'ont pas d'autre effet que de vous accorder des compétences à utiliser lors des procès - ce qui est appréciable, mais peut en rendre certains ridiculement faciles, du coup.
Pour ne pas faire avancer l'histoire plus vite, on a rajouté par-dessus un nombre de flash-backs totalement superflus qui tendent à augmenter en nombre à mesure que la fin du jeu approche. Honnêtement, j'ai hésité à envisager ce jeu comme une sorte de parodie du genre. Mais je crains qu'il n'ait été développé au premier degré. Il suffit de voir la conclusion sur laquelle il se termine : il souhaitait s'inscrire dans la lignée des "jeux japonais à réflexion", qui poussent à s'interroger sur des grandes idées quasi-philosophiques. Ici, il est question d'espoir et de désespoir - c'est pas du spoil, il suffit de regarder les titres des opus suivants pour le comprendre. Ok, très bien : c'est quoi l'espoir ? Et le désespoir ? Comment on peut vouloir renoncer à l'un ou l'autre ? On n'allait quand même pas s'enquiquiner à pousser la réflexion jusque-là. Et c'est ballot : certaines productions japonaises excellent dans ce domaine. Mais là, non. Le sujet aurait pu être choisi au hasard, ça aurait été la même chose : on ne voit pas du tout pourquoi l'espoir et le désespoir. Ni l'un ni l'autre ne constituent le cœur de quoi que ça soit dans le jeu. On ne les évoque jamais, on ne les construit jamais, on ne les met jamais en perspective. A la place, on se tape la subjectivité complète des créateurs qui surchargent certains personnages en charisme et en rendent d'autres absolument grotesques - voire inutiles.
Néanmoins, il n'est pas totalement à jeter : les meurtres sont bien organisés, le plan du "boss" de l'école pour faire sombrer ses élèves dans le désespoir également...Quand il faut faire de la stratégie, c'est réussi. Mais l'aspect aussi bien du développement des personnages - qui n'évoluent quasiment pas du début à la fin - que du "background réflexif" ont été bâclés. L'écriture est à la plage - quoique c'est peut-être la traduction qui y perd -, et pour un jeu où l'histoire est capitale, c'est un gros point négatif.


Un jeu dont on peut se passer au profit de meilleurs dans le même genre, ou d'ailleurs de la simple lecture d'un manga comme Judge. Vu son prix que j'estime assez élevé, je ne le recommanderais pas.

SiffaLys
5
Écrit par

Créée

le 10 févr. 2017

Critique lue 997 fois

5 j'aime

3 commentaires

SiffaLys

Écrit par

Critique lue 997 fois

5
3

D'autres avis sur Danganronpa: Trigger Happy Havoc

Danganronpa: Trigger Happy Havoc
Tobi
7

"Let's give it everything we've got ! IT'S... CRITIQUE TIIIME!"

Je préviens dès le début, il n'y aura pas de spoilers dans cette critique, ou alors des spoilers mineurs qui seront mis derrière une balise spoiler. De plus je n'ai pas fait Danganronpa 2 donc je n'y...

Par

le 30 mars 2016

10 j'aime

2

Danganronpa: Trigger Happy Havoc
Foulcher
6

Critique de Danganronpa: Trigger Happy Havoc par Foulcher

Quand un jeu débarque sur Playstation Vita c'est forcément un petit évènement et même un jeu de niche peut y gagner une exposition qu'il n'aurait pas forcément eue sur un autre support. Ainsi, en...

le 9 mars 2014

8 j'aime

Danganronpa: Trigger Happy Havoc
Red13
7

Good night ! Sleep tight ! Don't let the bed bugs bite ...

Note préalable : cette critique ne contient pas de spoils, à l'exception d'un paragraphe caché (et encore, c'est vraiment par précaution). vous pouvez donc la lire sans crainte de gâcher l'aventure...

le 6 nov. 2015

7 j'aime

14

Du même critique

Inside
SiffaLys
8

Déconstruction pour soliste en "quoi?" bémol majeur

Ça commence à faire un petit moment que des jeux, j'en ai terminé. Mais même sans avoir l'ambition d'être une encyclopédie du gaming, il y a peu de jeux que j'ai fini en me posant la question : "mais...

le 10 févr. 2017

3 j'aime

2

Mustang
SiffaLys
8

L'ogre, la prison, et la princesse à cinq têtes

Il était une fois, en Turquie, l'histoire de cinq sœurs – de la plus âgée à la plus jeune : Sonay (Ilayda Akdogan), Selma (Tugba Sunguroglu), Ece (Elit Iscan) , Nur (Doga Doguslu) et Lale (Gunes...

le 4 mars 2017

2 j'aime

Mermaid Swamp
SiffaLys
8

Quand les sirènes ne chantent plus

Je ne finirais jamais de faire l'éloge d'Uri et de ses jeux. Mermaid Swamp fait partie des premiers qu'elle a développé, et sans être aussi abouti que la trilogie The Strange Man, il est déjà un bon...

le 10 févr. 2017

2 j'aime