Deadly Premonition n'est pas un jeu que l'on peut juger comme n'importe quel autre : ses qualités et ses défauts sont si extrêmes qu’une approche holistique (voir le jeu comme un tout) ne lui rend pas service.
Pour parler directement de ce qui ne va pas, Deadly Premonition est un jeu vidéo abominable. C'est un open-world très vide et qui pourtant tourne parfois à 5 fps. On sent qu'il y a une envie de créer un monde réaliste avec des distances à parcourir comme dans une véritable ville. Il faut se nourrir, dormir, se raser, se changer et faire le plein, mais rien de tout cela ne fonctionne n'a pas de l'importance.
Les phases d'exploration et de combats (à la Resident Evil 4, mais version TEMU) sont atroces. On croise 3 (ou 4) types d'ennemis différents dans tout le jeu. Les couloirs sont vides. Quand un ennemi meurt, il faut attendre presque 10 secondes pour avancer à cause d'une sorte d’"hitbox" invisible qui bloque la route.
Les énigmes sont une insulte à l'intelligence humaine. On explore, on trouve systématiquement un indice du type « active cette combinaison : X-Y-Z », on entre dans la pièce, on active X-Y-Z, et hop, la porte s'ouvre.
Les combats sont répétitifs et reposent pour la plupart sur un mélange entre du Track & Field (où il faut bourriner gauche-droite-gauche-droite sur le stick analogique — et uniquement sur le stick, l’astuce de la pièce de monnaie frottée sur le D-pad ne fonctionne pas) et des QTE des enfers. Ayant fait le jeu sur Switch, j’ai été totalement « brainfucké » par les inversions de A-B-X-Y entre la manette Xbox et celle de Nintendo. Bref.
C’est un mauvais jeu vidéo, dans le sens mauvais comme les jeux que testait l’Angry Video Game Nerd dans les années 2010. On a l’impression qu’il n’y a aucun effort, aucune envie de bien faire.
On pourrait bien sûr détailler cela _ad nauseam_ et passer des heures à pointer ses défauts.
Et pourtant.
Si l’on parvient à faire abstraction de tout ça (et ce n’est pas simple, tout le monde ne le peut pas), on découvre sans doute le plus bel hommage à Twin Peaks qu’il m’ait été donné de voir. C’est une merveille de construction de personnages, (pratiquement) tous réussis et doublés avec soin. L’agent York est un héros absolument atypique dans le jeu vidéo, avec une backstory riche et bien construite.
Comme Twin Peaks, Deadly Premonition parvient remarquablement à mélanger les genres : horreur, tragique, comique, thriller. Le grand coup de force réside dans ces constantes ruptures de ton. On assiste à une scène de crime particulièrement abominable, et hop, une petite musique apaisante ou une remarque acide de York débarque. On passe du coq à l’âne en permanence. Le côté figé des animations (façon moteur 3D PS3) accentue encore cette bizarrerie. C’est baroque : une scène sublime peut s’enchaîner avec un moment de malaise intense. Swery, comme Lynch, manipule sans cesse le joueur, notamment grâce à la musique et ses leitmotivs. Comme des chiens de Pavlov, dès qu’on entend deux accords de la fameuse whistle song, on sait qu’on est dans un moment comique.
On sent clairement que Swery avait des ambitions immenses, mais que le studio s’est trompé de médium en choisissant le jeu vidéo. Je suis persuadé qu’il est possible d’apprécier Deadly Premonition sans y jouer : en regardant une compilation des cinématiques ou un playthrough. Y jouer n’aide pas — un comble pour un jeu, me direz-vous.
Je ne sais pas pourquoi, mais cela me rappelle les années 2005-2007, quand je jouais énormément à World of Warcraft. Dans cette période « pré-YouTube », je téléchargeais des vidéos sur le site Warcraftmovies.com. Il y avait plusieurs catégories : PvP, PvE, astuces de farming et surtout la catégorie Other. C’est là qu’on trouvait les machinimas. La qualité était très variable, mais le moteur de WoW a permis à certains de se lancer dans de véritables productions cinématographiques. C’était souvent cringe, mais parfois, il y avait des pépites.
Deadly Premonition me rappelle cela. C’est l’œuvre d’un fan absolu de cinéma et de série B qui a utilisé le jeu vidéo comme moyen (ou comme plan B) pour raconter son histoire. C’est un jeu plein de cœur et de grandiloquence, qui m’a profondément marqué et restera longtemps gravé dans ma mémoire.