Pépite annoncée, chef d’œuvre à l'arrivée. La force du jeu est de parvenir à faire émerger derrière la loufoquerie hilarante du personnage (j'étais régulièrement plié en deux de rire devant certaines répliques proposées) des enjeux réellement tristes, dans la pure tradition du film Noir et de ses détectives brisés. La qualité d'écriture est proprement hallucinante, avec la construction d'un univers d'une complexité imperceptible au 1er abord et qui se révèle au gré des fils de conversation qui semblent parfois inépuisables : que ce soit les théories racialistes d'un suprémaciste, la conceptualisation psychique en sinusoïdale d'un teufeur, les constructions politiques à longue échéance du Moralintern, les stratégies de lutte syndicale, les effets de l'Intangible et son impact sur la structure du monde, son histoire et sa géopolitique, toute l'oeuvre de Cuno, voire simplement les beuglements "Hardcore à fond les ballons" de Egghead pour se reposer un peu (parmi tant d'autres).
Et sans parler de ces grands moments de conflits intérieurs entre vos instances affectives et cognitives sur la bonne attitude à avoir. Respect pour la cohérence de toutes ces thématiques nickellement entremêlées avec une enquête tout aussi captivante, d'autant que l'humour est très bien dosé et que le choix d'une ambiance culturelle d'inspiration créole est fort agréable pour un joueur français.
En résulte une véritable empathie pour les personnages si vivants qui constituent cet univers, que ce soit votre flic disco qui se reconstruit à l'aune de votre manière de jouer tout en dévoilant pudiquement ses fêlures, ou bien évidemment son partenaire, Kim Kitsuragi, qui supporte avec tant de bienveillance les frasques les plus débiles (genre les canulars téléphoniques aléatoires) que je me surprenais à faire certains choix pour ne pas le décevoir. Et j'étais véritablement malheureux de terminer le jeu, ce qui signifiait les quitter, tous, signe de la réussite de cette connexion affective.
Attention toutefois : nonobstant ses qualités indéniables, Disco Elysium ne pourra pas plaire à tous. C'est un jeu majoritairement textuel et très verbeux, avec une dimension point and click plus en retrait, et qui malgré une chouette direction artistique, un superbe doublage et quelques séquences épiques, prendra véritablement vie dans votre tête plutôt que sur l'écran. Mais c'est le prix d'une expérience inoubliable.